Une demande énergétique sous tension
À Brazzaville, les soirées improvisées à la bougie se répètent depuis plusieurs semaines. Entre le murmure des groupes électrogènes et les notifications de coupure diffusées par la société Énergie Électrique du Congo, la ville découvre que sa croissance consomme plus de courant qu’elle n’en produit.
Officiellement, la capacité installée tourne autour de 300 mégawatts, quand les pointes de consommation urbaines flirtent désormais avec 450. L’équation est simple : chaque pic laisse une partie des abonnés dans le noir, surtout aux heures où climatiseurs et réfrigérateurs tournent à plein.
Pour Serge Mokoko, ingénieur réseaux, la pression démographique aggrave le phénomène. « Le parc immobilier explose, les puissances souscrites restent modestes, mais l’équipement électroménager se modernise. On a un pays en voie d’urbanisation rapide, pas un réseau extensible à l’infini », analyse-t-il.
Petits commerces, grandes pertes
Dans les ruelles de Talangaï, Magalie Mambeké à bout de souffle nettoie chaque matin ses glacières vides. Quatre fournées de poisson perdues en une semaine, soit plus de 200 000 francs CFA partis en fumée, sans indemnisation ni assurance pour amortir le choc.
Autour d’elle, coiffeurs, cybercafés et vendeurs de jus ferment dès la tombée du jour. Le carburant nécessaire aux générateurs se paie au prix d’un luxe. « J’ai choisi de limiter les heures d’ouverture, sinon je travaille à perte », confie un jeune barbier du quartier.
Selon la Chambre de commerce, les micro-entreprises enregistrent jusqu’à 30 % de baisse de chiffre d’affaires sur les semaines les plus instables. Derrière les chiffres se cachent des emplois précaires et des paniers de ménages qui se réduisent, dans une économie déjà sensible aux chocs extérieurs.
Les foyers s’adaptent comme ils peuvent
La panne commence souvent par un crépitement des ampoules, puis le silence. Dans les maisons, on range réfrigérateurs et climatiseurs pour ressortir lampes à pétrole, moustiquaires et congélateurs remplis de blocs de glace achetés sur la route. Les enfants révisent désormais sous la lampe torche.
Une enquête rapide de l’Institut national de la statistique indique que 62 % des ménages stockent désormais moins de produits frais qu’il y a deux ans. Résultat, le marché du prêt-à-manger gagne du terrain, avec des grillades de rue qui prospèrent à la faveur des coupures.
Pour l’anthropologue Nicole Ntsiba, ces arrangements temporaires tracent « un nouveau mode de vie urbain, plus résilient, mais aussi plus coûteux pour la santé et l’environnement ». Elle souligne l’usage accru du charbon et la pollution sonore des groupes, phénomène encore peu quantifié.
Des réponses institutionnelles en chantier
Du côté des autorités, la société E2C rappelle que la saison sèche entraîne une baisse du débit des barrages d’Imboulou et de Moukoukoulou. « Une nouvelle turbine sera installée avant décembre pour augmenter de 30 mégawatts », assure son directeur technique, joint par téléphone.
Le ministère de l’Énergie table, lui, sur la montée en puissance du réseau interconnecté avec le barrage de Sounda, projet de 600 mégawatts aujourd’hui en phase d’études. L’objectif affiché est de couvrir 85 % des besoins nationaux d’ici 2030, en misant aussi sur le solaire.
À l’Assemblée, plusieurs députés invitent les citoyens à la « patience responsable ». Ils encouragent la population à signaler chaque incident via l’application mobile récemment lancée par E2C, censée améliorer le temps moyen de rétablissement. Les premiers tests indiquent déjà un gain de vingt minutes par panne.
Innovation et solidarité citoyenne
À Poto-Poto, des étudiants ont créé des kits solaires portatifs, vendus moins cher qu’un plein de carburant pour groupe électrogène. Ils se rechargent en trois heures de soleil et alimentent deux ampoules et un téléphone, prouesse saluée lors du dernier Salon de l’ingéniosité locale.
Les quartiers s’organisent aussi autour de tontines d’énergie. Chacun verse une modeste contribution mensuelle afin d’acheter un générateur mutualisé, installé dans une maison pivot. Le système, inspiré des tontines financières, permet d’abaisser le coût du litre de carburant pour tous les contributeurs.
Pour l’économiste Giscard Malonga, ces initiatives complètent utilement l’action publique. « L’État investit dans les infrastructures lourdes, la société civile couvre les besoins immédiats. Ensemble, l’adaptation peut se transformer en opportunité de marché et d’emplois verts », estime-t-il.
Perspectives d’avenir énergisé
La transition énergétique se joue donc à plusieurs niveaux, du grand barrage au panneau solaire posé sur un balcon. Les experts rappellent que la diversification reste la meilleure assurance contre les délestages, surtout dans un pays doté d’un fort potentiel hydroélectrique et d’un ensoleillement généreux.
D’ici la fin de l’année, un programme de lampadaires solaires devrait éclairer les principales artères de la capitale. Le projet, financé par la Banque africaine de développement, promet de réduire la charge sur le réseau et d’améliorer la sécurité nocturne, deux préoccupations majeures des citadins.
En attendant la pleine lumière, Magalie et ses voisins continuent de composer avec l’imprévisible. La résilience est devenue une compétence urbaine, tout comme l’humour qui accompagne les coupures. « Au Congo, même l’obscurité finit par sourire », plaisante-t-elle, refermant sa glacière pour mieux la rouvrir demain.
