Kintélé, carrefour stratégique de la cyberdéfense sous-régionale
Sous un ciel d’hivernage déjà chargé de promesses, le Centre international de conférences de Kintélé a résonné, le 1er juillet, des accents résolus du Cyberdrill régional 2025. Devant un parterre d’experts, de responsables sécuritaires et de partenaires techniques, le Premier ministre Anatole Collinet Makosso a ouvert la treizième édition de cet exercice coordonné par l’Union internationale des télécommunications. Objectif annoncé : soumettre à l’épreuve du feu les systèmes de protection numérique des États d’Afrique centrale afin d’en extraire les points de friction et les gisements d’amélioration.
Une coordination inter-agences au diapason des menaces numériques
Derrière la mise en scène protocolaire, la rencontre vise une finalité très opérationnelle : éprouver la réactivité simultanée des CERT gouvernementaux, des brigades d’enquête spécialisées et des autorités de régulation face à des simulations d’attaques sophistiquées. En cela, le Cyberdrill se distingue d’un colloque académique. Les scénarios, scrupuleusement élaborés par un groupe restreint d’architectes réseau, reproduisent les modes opératoires les plus observés dans la région – rançongiciels ciblant les hôpitaux, détournements de plateformes financières ou encore sabotage de relais d’énergie. Les délégations doivent détecter l’intrusion, contenir l’incident et partager les artefacts techniques avec leurs homologues, démontrant ainsi l’efficacité d’une approche mutualisée.
Jeunesse africaine et souveraineté digitale : un enjeu partagé
Au-delà de la dimension strictement technique, l’atelier a mis en exergue les répercussions sociétales d’une cybersécurité défaillante pour les 200 millions de jeunes de la sous-région, dont la socialisation passe désormais par les plateformes numériques. « Chaque brèche compromet des données personnelles, mais aussi l’espoir entrepreneurial d’une génération start-up », a rappelé la sociologue Sylvie Ngalula, conviée pour élargir le propos. Le ministre des Postes, des Télécommunications et de l’Économie numérique, Léon Juste Ibombo, a quant à lui rappelé la statistique implacable : une cyberattaque se déclenche toutes les trente-neuf secondes dans le monde, et l’Afrique, avec plus de 3 370 attaques hebdomadaires par organisation, n’a plus le loisir de la passivité.
L’Anssi, pivot d’une architecture sécuritaire convergente
Au Congo, la pierre angulaire de cette stratégie s’appelle Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information. Pour le vice-amiral Jean Dominique Okemba, secrétaire général du Conseil national de sécurité, « l’Anssi doit se muer en rempart, sinon en tour de contrôle de notre souveraineté numérique ». L’affirmation résonne d’autant plus que l’agence s’apprête à inaugurer un centre d’alerte et de réponse capable de traiter vingt-quatre heures sur vingt-quatre les signaux faibles émanant des opérateurs critiques. Aux dires de son directeur par intérim, Thierry Mbemba, le renforcement des effectifs passera par le recrutement de profils jeunes, rompus au bug bounty et aux forges open source, afin d’ancrer la cybersécurité dans l’écosystème innovant local.
Vers une doctrine africaine arrimée aux standards internationaux
Les échanges de Kintélé caressent une ambition plus vaste : l’élaboration d’une doctrine africaine de cyber-résilience, nourrie des meilleures pratiques du Forum mondial de cybersécurité et du standard ISO 27035 sur la gestion d’incident. « Nos réalités restent spécifiques, mais elles ne sauraient s’affranchir des fondamentaux de la gouvernance mondiale », a souligné Pedro Ferreira, expert invité de l’Agence portugaise de cybersécurité. Les délégations réfléchissent ainsi à une feuille de route qui articule la sensibilisation citoyenne, l’harmonisation législative et l’interopérabilité des plateformes d’alerte, le tout en veillant à préserver la souveraineté des données.
Perspectives économiques d’une cybersécurité inclusive
Si le coût mondial de la cybercriminalité se chiffre désormais à 9 500 milliards de dollars, le continent africain encaisse à lui seul une perte estimée à plus de 4 milliards par an. Ce manque à gagner exsangue des économies déjà fragilisées par la volatilité des matières premières. Toutefois, comme l’a exposé le directeur sous-régional de la Banque africaine de développement, Emmanuel Diop, chaque dollar investi dans la prévention numérique génère jusqu’à quatre dollars d’économies en risques évités. Les participants ont ainsi plaidé pour que la cybersécurité soit inscrite dans les projets d’intégration économique, à l’instar de la Zone de libre-échange continentale africaine, afin d’attirer les capitaux étrangers généralement frileux face à l’insécurité numérique.
Un horizon de confiance numérique partagé
À l’issue de la session inaugurale, le Premier ministre a reconnu la nécessité de maintenir ce dialogue technique au-delà de la parenthèse du 4 juillet. Dans les couloirs, plusieurs responsables ont évoqué la création d’un tableau de bord trimestriel des incidents majeurs et la tenue, chaque semestre, d’exercices conjoints pour conserver la dynamique. Pour les jeunes adultes congolais, avides de services en ligne fiables – de la banque mobile aux plateformes d’e-gouvernement –, ces engagements dessinent la promesse d’un cyberespace plus sûr, gage d’innovation et de croissance inclusive. Kintélé se referme donc sur une note d’espoir : celle d’une Afrique centrale consciente que son avenir numérique se construira dans la coopération, la vigilance et l’ambition.