Brazzaville se positionne comme carrefour africain de la cybersécurité
Sous un ciel doucement voilé d’harmattan, la salle de conférences du ministère des Postes, des Télécommunications et de l’Économie numérique a bruissé, ce 1ᵉʳ juillet, des conversations polyglottes d’une Afrique centrale rassemblée. En donnant le coup d’envoi du 13ᵉ Cyber Drill régional, le Premier ministre Anatole Collinet Makosso a non seulement salué l’expertise des délégations venues de plus de trente États, mais il a aussi rappelé l’ambition de long terme du Congo-Brazzaville : se positionner à la croisée des routes numériques qui relient les capitales du continent. Ce choix n’est pas anodin. La montée en puissance des infrastructures nationales — fibres transocéaniques, Data Center souverain, point d’échange Internet — confère à Brazzaville un rôle pivot, capable de catalyser, le temps d’un exercice, l’intelligence collective nécessaire à une réponse régionale contre les cybermenaces.
Conjuguer souveraineté numérique et résilience régionale
À l’heure où les attaques rançongicielles ciblent hôpitaux, compagnies aériennes et plateformes financières, les États se découvrent vulnérables à des adversaires insaisissables. « La sécurité numérique n’est plus un luxe technique ; elle constitue le socle de la souveraineté moderne », a martelé Jean-Dominique Okemba, secrétaire général du Conseil national de sécurité. Dans les travées, les responsables des centres de réponse aux incidents (CERT) savent qu’aucun pare-feu n’est suffisant si l’information ne circule pas. Le Cyber Drill offre ainsi un laboratoire grandeur nature où sont simulées des attaques sophistiquées, inspirées d’incidents récents en Asie et en Europe, afin de mesurer la capacité des administrations à contenir la crise et à rétablir les services essentiels. L’exercice éclaire un impératif stratégique : bâtir une chaîne de confiance interinstitutionnelle, capable de conjuguer échange de renseignements en temps réel et protection des données sensibles.
La jeunesse congolaise face au défi de la cyber-citoyenneté
Pour la tranche d’âge des 20-35 ans, particulièrement connectée, la cybersécurité revêt une dimension citoyenne. Entre deux sessions techniques, des étudiants de l’Université Marien-Ngouabi confient leur désir de passer de simples utilisateurs de réseaux sociaux à véritables acteurs de la défense numérique. « Nous voulons coder les pare-feu de demain, pas seulement liker des vidéos », sourit Grâce, étudiante en génie logiciel. À l’initiative d’incubateurs locaux, des ateliers de bug-bounty et des hackathons sont programmés en marge du Cyber Drill, avec l’appui de l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information. Ce transfert de compétences, adossé à des partenariats avec l’Union internationale des télécommunications (UIT) et Interpol, vise à forger une génération de cyber-patriotes, à la fois vigilants et créatifs, capables de défendre l’espace numérique congolais tout en le propulsant dans l’économie de la donnée.
Vers une doctrine africaine harmonisée et inclusive
Au-delà de l’entraînement technique, Brazzaville ambitionne d’accoucher d’un cadre doctrinal commun. Dans une salle plénière parfumée de café robusta, les délégations planchent sur la rédaction d’un projet de protocole inspiré de la Convention de Malabo et des standards ISO 27001. L’objectif est clair : articuler responsabilité étatique, devoir de diligence des opérateurs privés et droits des citoyens à la protection de leur vie numérique. « Il ne s’agit pas de copier-coller des normes venues d’ailleurs, mais de bâtir un corpus africain adossé à nos réalités socioculturelles », explique Dr Aïssatou Dieng, experte de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale. Cette démarche inclusive entend donner voix aux petites nations insulaires comme aux puissances économiques émergentes, afin de garantir que la cybersécurité devienne un bien public partagé, et non un privilège réservé aux États les mieux dotés.
Innovation, formation et partenariats internationaux
L’édition 2024 remodèle également le lien entre diplomatie et innovation. Le Centre africain de recherche en intelligence artificielle, installé à Oyo depuis deux ans, expose des solutions de détection d’anomalies fondées sur l’apprentissage automatique, tandis que des experts japonais et émiratis font la démonstration de jumeaux numériques permettant de rejouer en continu des scénarios de crise. Ces échanges stimulent la création de programmes de formation conjointe : master en forensic numérique, certificats en gouvernance des risques et ateliers de réponse rapide animés par des officiers d’Interpol. Le secteur privé n’est pas en reste. Plusieurs start-up congolaises décrochent, à la faveur des rencontres, des contrats d’accompagnement technique avec de grands équipementiers européens, renforçant ainsi l’écosystème local et favorisant l’emploi qualifié.
Une vigilance collective à l’heure des menaces hybrides
Alors que le rideau tombera sur le Cyber Drill, chacun sait que le véritable examen se déroulera au quotidien, loin des salles climatisées. Les menaces hybrides mêlant désinformation, intrusions dans les réseaux d’électricité et manipulation d’algorithmes façonnent une réalité mouvante. Le Premier ministre l’a rappelé avec gravité : « Notre défi n’est pas de prédire la prochaine attaque, mais de bâtir une culture de vigilance et de solidarité permanente. » Dans cette perspective, le Congo-Brazzaville propose de pérenniser un centre régional d’alerte précoce, capable de traiter en continu les flux de renseignements et de coordonner les réponses. Ce projet, porté par les ministères sectoriels et adossé au soutien technique de l’UIT, illustrerait l’engagement du pays à transformer l’impulsion donnée par le Cyber Drill en un filet de sécurité durable, au bénéfice de tous les citoyens d’Afrique centrale.