Un continent sous pression numérique
Le 1ᵉʳ juillet, Brazzaville a accueilli la treizième édition du Cyber Drill régional, laboratoire d’idées et d’exercices techniques destiné à éprouver la solidité des défenses numériques africaines. À l’ouverture des travaux, le ministre congolais des Postes, des Télécommunications et de l’Économie numérique, Léon Juste Ibombo, a rappelé que plus de 4 milliards de dollars se volatilisent chaque année en Afrique sous les coups de boutoir d’attaques informatiques toujours plus sophistiquées. L’alerte est loin d’être théorique : pour de jeunes économies dont la transformation digitale constitue l’un des leviers de diversification, ces pertes représentent un manque à gagner déterminant, autant pour les États que pour les start-up qui innovent dans la fintech, la logistique ou l’agritech.
Si le cyberespace offre d’innombrables opportunités, il constitue également, selon les termes de la députée-maire de Kintélé Stella Mensah Sassou Nguesso, « une zone de turbulence permanente qu’il serait naïf de traverser sans ceinture de sécurité ». L’enjeu, poursuit-elle, n’est pas seulement financier : il touche à la souveraineté numérique, à la protection des données personnelles et, in fine, à la confiance des citoyens dans l’économie numérique émergente.
Statistiques alarmantes mais éclairantes
Les données de l’Union internationale des télécommunications confirment l’ampleur de la menace : toutes les trente-neuf secondes, quelque part dans le monde, un système d’information est ciblé par une tentative d’intrusion. Sur le continent, chaque organisation subirait en moyenne 3 370 attaques par semaine, un bond de plus de 90 % sur une seule année. Le rançongiciel, fléau des infrastructures de santé et des services publics, s’ajoute aux campagnes de phishing cherchant à dérober identifiants bancaires ou secrets industriels.
Au-delà des chiffres cumulés, la typologie des attaques révèle une professionnalisation accrue des réseaux criminels, qui mutualisent leurs outils, recrutent à l’international et louent même leurs plateformes sous forme d’« attaques as a service ». La porosité entre cybercriminalité et criminalité transnationale organisée complique la réponse pénale classique, obligeant les États à conjuguer coopération judiciaire, diplomatie numérique et partage de renseignements techniques.
Riposte panafricaine et coopération internationale
Le Cyber Drill de Brazzaville s’inscrit dans cette stratégie de mutualisation des savoir-faire. Pendant plusieurs jours, équipes de certs nationaux, opérateurs télécoms, régulateurs et chercheurs ont simulé, en temps réel, la détection d’un incident majeur, son confinement puis sa remédiation. « Il ne s’agit plus de savoir si une attaque surviendra, mais de vérifier que nos protocoles d’alerte sont synchronisés à l’échelle régionale », a insisté Léon Juste Ibombo.
Au-delà de la formation technique, la rencontre a permis d’esquisser un futur mécanisme d’entraide rapide entre capitales africaines : lorsqu’un opérateur critique est visé à Dakar ou à Kigali, les centres d’alerte de Brazzaville ou de Pretoria doivent pouvoir partager immédiatement les signatures malveillantes détectées, de façon à contenir la propagation. Cette solidarité opérationnelle complète les cadres juridiques existants, tels que la Convention de Malabo sur la cybersécurité et la protection des données à caractère personnel, déjà ratifiée par une vingtaine d’États.
Le rôle moteur du Congo-Brazzaville
Conscient de la place charnière que lui confère sa géographie et du poids croissant des services numériques dans son produit intérieur brut, le Congo-Brazzaville a multiplié les initiatives. Le déploiement de la dorsale nationale en fibre optique, l’adhésion au réseau mondial du Forum des équipes de réponse aux incidents (FIRST) et la mise en place d’un Cyber-Security Operations Center illustrent cette dynamique. Ces outils, complémentaires des cadres législatifs adoptés en 2019 sur la protection des données, permettent de passer d’une posture réactive à une posture proactive.
Sur le plan académique, l’Université Denis Sassou Nguesso de Kintélé a ouvert une filière cybersécurité qui attire déjà de nombreux jeunes professionnels. Selon son coordonnateur scientifique, Pr Eustache Mavoungou, « la bataille se gagnera autant par la compétence que par la technologie » : former localement des experts capables d’auditer, de programmer et de certifier les infrastructures constitue un pas décisif vers l’autonomie stratégique du pays.
Vers une culture de la vigilance citoyenne
Au-delà des laboratoires, la cybersécurité s’enracine dans les usages quotidiens. Les jeunes adultes congolais, ultra-connectés via les plateformes de commerce en ligne, les réseaux sociaux et les services bancaires mobiles, deviennent la première ligne de défense. Campagnes de sensibilisation dans les universités, applications de signalement des escroqueries et programmes d’inclusion numérique visant à familiariser les publics les plus éloignés avec les gestes barrières numériques contribuent à bâtir un environnement plus sûr.
La cybersécurité n’est donc pas un simple défi technique : elle participe à la stabilité macro-économique, à la confiance dans les institutions numériques et, partant, à l’attractivité des investissements étrangers. Le Cyber Drill de Brazzaville aura démontré qu’une réponse collective, concertée et ancrée dans la réalité des territoires peut transformer cette menace diffuse en occasion de renforcer la gouvernance numérique africaine, à l’heure où l’économie du continent se digitalise à marche forcée.
