Cap sur le cloud made in Congo
Le vaste bâtiment blanc installé à Mpila fait déjà ronronner ses serveurs. Depuis l’inauguration du Datacenter national, le Congo-Brazzaville se dote d’un coffre-fort numérique conçu pour stocker, protéger et monétiser des téraoctets de données publiques et privées.
En moins de trois ans, le chantier porté par l’Agence de planification, de l’aménagement du territoire et de développement du numérique a émergé sur une ancienne friche ferroviaire. Les habitants du quartier suivent avec fierté l’arrivée quotidienne des camions remplis de serveurs étincelants.
Un Datacenter de nouvelle génération
Classé Tier 3, le site garantit une disponibilité supérieure à 99,9 %. Groupes électrogènes redondants, salles climatisées et sécurité biométrique composent ce concentré de technologie conçu par la société chinoise CloudWye et supervisé par l’Agence de développement de l’économie numérique.
Sa capacité actuelle s’élève à 400 racks, soit l’équivalent de plusieurs milliers de serveurs physiques. L’architecture modulaire permettra d’ajouter rapidement de nouveaux modules, suivant l’évolution de la demande des entreprises, des administrations et des startups régionales en quête de cloud souverain.
Le refroidissement par couloir froid, couplé à des échangeurs haute efficacité, réduira la consommation énergétique de près de 30 % par rapport aux centres traditionnels, un argument écologique et économique salué par les ingénieurs présents lors de la visite officielle.
La visite de la BAD
Samedi 28 octobre, Marie-Laure Akin-Olugbade, vice-présidente principale de la Banque africaine de développement, a parcouru les allées impeccables du site en compagnie du ministre Léon Juste Ibombo et du gouverneur de la BAD, Ludovic Ngatsé.
Face à la presse, la responsable a salué « la vision du gouvernement congolais qui anticipe les besoins numériques du continent ». Elle a rappelé que la BAD a injecté 13 millions d’euros dans le projet, confirmant la solidité d’un partenariat engagé depuis 2014.
La dirigeante a également encouragé un modèle économique ouvert à l’échelle sous-régionale, afin que le Datacenter accueille les charges de travail du Cameroun, du Gabon, de la RCA ou encore de la RDC, moyennant des tarifs compétitifs et transparents.
Un levier pour la souveraineté numérique
Aujourd’hui, la majorité du trafic internet africain transite encore par des serveurs situés hors du continent. Héberger localement les données critiques permettra de réduire la latence, de renforcer la confidentialité des citoyens et de préserver la propriété intellectuelle des créateurs congolais.
« La data, c’est le pétrole du XXIᵉ siècle », a insisté Léon Juste Ibombo. Le ministre voit dans le Datacenter un instrument stratégique aligné sur la loi d’orientation pour le numérique adoptée en 2019, qui prévoit la protection des données sensibles.
Les experts de la startup brazzavilloise CyberLock estiment qu’un hébergement souverain réduira de 25 % le risque de cyber-attaques liées à la juridiction étrangère. De quoi rassurer les fintechs locales qui manipulent quotidiennement des volumes importants d’informations bancaires.
Des opportunités pour la sous-région
Avec un point de présence Internet Exchange Point en cours d’installation, le Datacenter pourrait devenir la porte d’entrée vers l’Atlantique pour les startups du bassin du Congo. Les développeurs y trouveront des environnements de test à faible latence et haute disponibilité.
Le Gabon lorgne déjà des baies pour son registre de commerce numérique. Au Cameroun, plusieurs universités envisagent d’y héberger leurs plateformes d’e-learning, réduisant la facture énergétique et simplifiant la sauvegarde distante des cours magistraux.
Selon les estimations de la BAD, l’ouverture aux voisins pourrait générer un chiffre d’affaires annuel de 8 millions d’euros, réinvestis dans la maintenance et la formation de techniciens locaux, renforçant ainsi l’écosystème d’emploi numérique de la capitale.
Un partenariat financier solide
La construction, chiffrée à 35 millions d’euros, a été financée conjointement par l’État congolais et la BAD. Cette formule mixte illustre la confiance des bailleurs dans la stabilité macro-économique du pays et la pertinence de ses priorités digitales.
Un comité de pilotage, associant ministère, AfDB et secteur privé, suit les indicateurs clés : taux d’occupation, temps de disponibilité et coûts d’exploitation. L’objectif est d’atteindre le seuil de rentabilité avant la fin du quatrième exercice.
Pour soutenir la montée en puissance, la banque prévoit une enveloppe additionnelle de 5 millions d’euros dédiée aux formations certifiantes en administration système, cybersécurité et virtualisation. Un volet spécifiquement pensé pour les jeunes diplômés des universités de Brazzaville et Pointe-Noire.
Et maintenant ? Place aux usages
Les prochains mois verront l’installation de la plateforme de télé-médecine du ministère de la Santé, qui offrira des consultations vidéo sécurisées aux hôpitaux de l’intérieur. Le Datacenter fournira la puissance de calcul et l’archivage des dossiers médicaux.
D’autres projets pilotes, comme la carte d’étudiant biométrique, la gestion intelligente des feux tricolores ou encore l’open data climat, sont en phase de préparation. Tous s’appuieront sur les services IaaS, PaaS et SaaS hébergés localement.
Pour les jeunes créateurs de contenu, c’est également la promesse de plateformes de streaming made in Congo, capables de diffuser clips et web-séries sans passer par des serveurs étrangers. Un atout pour la culture, la monétisation et la visibilité internationale.
