Aux sources du premier roi Kongo
Quand on interroge l’histoire africaine, le nom de Nimi Lukeni surgit comme celui qui aurait fédéré plusieurs chefferies pour bâtir le Kongo dia Ntotila, vaste royaume couvrant l’actuel Congo, une partie de la RDC, de l’Angola et du Gabon.
Avec des sources orales dispersées et des chroniques européennes rédigées plus tard, la recherche peine à dater précisément son règne, souvent situé entre la fin du IXe et le Xe siècle selon l’historien Abraham Constant Ndinga Mbo.
Pourtant, malgré l’écart temporel, la figure de ce souverain continue de fasciner, car elle cristallise des questions identitaires majeures : à quelle ethnie appartenait-il et où repose-t-il ? Deux interrogations qui résonnent fortement chez les jeunes Congolais en quête de repères.
Les chroniqueurs portugais du XVe siècle, tels que Duarte Pacheco Pereira, évoquent un « mani Congo » déjà structuré, indice que la dynastie de Lukeni avait laissé des institutions suffisamment solides pour survivre cinq cents ans. Cette durée conforte l’idée d’un règne initial bien antérieur.
Pistes linguistiques entre Niari et Vungu
Nombre d’indices pointent vers le peuple Kuni, établi dans l’ancienne vallée du Niari, autrefois appelée Ndingi. Le toponyme Nsundi, province clé du royaume, dériverait du verbe kuni ku tsunda, « commencer », rappelant le rôle de première capitale attribué à la zone.
Christian Roland Mbinda Nzaou, historien originaire du Niari, rappelle que les explorateurs coloniaux auraient transformé l’expression kuni « Nsundi Niadi » en Niari sous l’influence phonétique bembé, brouillant ainsi un marqueur linguistique essentiel.
Le patronyme même de Lukeni renvoie, dans le parler kuni, soit à un poisson aux écailles étincelantes soit à un petit mammifère réputé pour sa grâce, image flatteuse souvent assignée aux personnes charismatiques. Le lexique local nourrit donc l’hypothèse d’une filiation culturelle directe.
Pourtant, d’autres spécialistes, notamment l’anthropologue gabonais Louis Perrois, rappellent que l’espace niari présente aussi des influences yombé et teke, relativisant une attribution ethnique exclusive. Le débat souligne la complexité des circulations précoloniales plutôt qu’une cartographie rigide.
Les jumeaux, de Ngo à Nimi: un code culturel
Chez les Kuni, les jumeaux masculins reçoivent des noms codés : l’aîné, Ngo, symbolise la panthère et la virilité ; le cadet, Nimi, évoque ce qui vient après. Cette tradition concorde avec la double identité rapportée pour le futur roi.
La comparaison avec le récit biblique d’Ésaü et Jacob, souvent mobilisée par les chercheurs, illustre la place symbolique accordée au jumeau cadet : stratège plutôt que guerrier, bâtisseur d’alliances plutôt que chasseur, profil qui sied au fondateur d’un royaume commercialement prospère.
Les prénoms attribués à la fille de Nimi, notamment Nzinga, Kuni et Lawu, prolongent cette grammaire symbolique. Nzinga serait née avec le cordon autour du cou, un fait décrit par le verbe kuni ku tsinga, enrouler, qui scelle le lien linguistique mère-territoire.
Toponymes et clanonymes révélateurs
Au-delà des noms personnels, des lieux comme le torrent Lukenini, mentionné par le pasteur Joseph Titi près de Lubetsi, rappellent le passage du souverain à proximité de la route nationale 3, itinéraire oralement associé à sa retraite stratégique vers l’Ouest.
Les recherches récentes suggèrent un continuum culturel entre Vungu, rive droite du fleuve Congo, et Ndingi, rive gauche. Cette bande terrestre, appelée pays Diangala, aurait servi de couloir à des formes politiques proto-étatiques avant l’essor du Kongo dia Ntotila.
Dans cette perspective, les clanonymes Kuni, Yombé ou Nsundi deviennent autant de balises permettant de suivre des migrations internes plutôt que des invasions externes, nuance importante pour comprendre l’organisation matrilinéaire et économique du royaume.
Où reposerait Nimi Lukeni?
Aucune fouille n’a, à ce jour, confirmé un tombeau précis. Les traditions funéraires royales kongo exigent cependant une inhumation à l’intérieur du territoire, dans un site protégé par le lignage maternel. Les historiens privilégient donc une sépulture proche des premières capitales symboliques.
La poussée des Yaka mentionnée dans certains récits, postérieure de six siècles, n’éclaire pas ce point. L’absence d’indices archéologiques impose la prudence, mais ouvre un chantier de recherche prometteur pour des équipes congolaises capables de conjuguer archives, géophysique et tradition orale.
De nouveaux outils, tel le lidar aéroporté testé sur les sites mayas, pourraient être adaptés aux forêts de Mayombe pour repérer des alignements funéraires. Les universités de Brazzaville envisagent un programme pilote qui associerait étudiants, communautés locales et musées internationaux.
Enjeux contemporains pour la jeunesse congolaise
Interroger les origines de Nimi Lukeni revient à questionner la fabrique de l’unité nationale à travers un héros commun. Dans un pays pluriel, comprendre comment un leader a transcendé les appartenances locales peut inspirer les projets d’intégration économique et culturelle actuels.
La popularité des séries web, des podcasts et des jeux vidéo historiques démontre la soif de récit épique chez les 20-35 ans. Offrir un contenu scientifiquement étayé sur Nimi Lukeni pourrait nourrir cette créativité, tout en valorisant les langues nationales comme le kuni.
Elles pourraient lancer une appli de réalité augmentée pour visiter virtuellement Mbanza Kongo et le Niari en 3D, suivant les pas de Lukeni, transformant ainsi la recherche en expérience immersive.
