Un rendez-vous citoyen mensuel
À l’aube du premier samedi de juillet, la sève d’un engagement collectif a parcouru les rues de Brazzaville. Au signal du ministre de l’Assainissement urbain, du Développement local et de l’Entretien routier, Juste Desiré Mondelé, des brigades mixtes formées de riverains, d’agents municipaux et d’associations de jeunes ont convergé vers les artères principales. Leur mission est simple : libérer trottoirs et caniveaux, déplacer les carcasses de véhicules et restituer à la capitale un visage conforme aux ambitions modernes que nourrit le Congo-Brazzaville.
Un cadre réglementaire en pleine consolidation
La circulaire ministérielle du 2 juillet dernier fixe désormais le premier samedi de chaque mois comme temps fort d’une « opération spéciale de salubrité ». En appui, les arrondissements ont reçu des notes techniques détaillant la procédure de déguerpissement et les modalités de traitement des déchets. Le dispositif s’inscrit dans la stratégie gouvernementale qui conjugue propreté urbaine et lutte contre l’occupation anarchique de l’espace public, un défi récurrent dans les grandes métropoles d’Afrique centrale.
Le ministre insiste : « Nous demandons aux propriétaires de véhicules hors d’usage de les stationner dans leurs parcelles ou garages afin de libérer totalement la voie publique. » Le ton est volontairement pédagogique. Il vise moins la sanction que l’intériorisation progressive d’un réflexe citoyen.
Des enjeux urbains tangibles pour la jeunesse
Pour les jeunes actifs brazzavillois, la salubrité n’est pas un luxe réputationnel ; elle conditionne la mobilité, la santé et même l’attractivité économique de leurs quartiers. Les nuisances générées par les embouteillages provoqués par les épaves ou les marchés improvisés pèsent sur leur quotidien. Selon la Direction générale des transports urbains, le temps moyen passé dans les embouteillages a augmenté de 15 % ces trois dernières années, un indicateur que la nouvelle campagne espère inverser.
Cristelle Nkouka, entrepreneuse de vingt-sept ans à Moungali, note que « le simple fait de pouvoir marcher sans slalomer entre les étals change notre regard sur la ville et nourrit l’envie d’y investir ». Le propos illustre l’effet de halo que la salubrité peut avoir sur l’initiative privée.
La pédagogie au cœur de l’action gouvernementale
Plutôt que de s’en remettre uniquement à la coercition, les autorités multiplient les séances de sensibilisation dans les établissements scolaires, les universités et les plateformes numériques fréquentées par la tranche 20-35 ans. Les comptes officiels relayent vidéos didactiques, infographies et défis en ligne où les internautes postent des clichés « avant/après » de leurs rues. Cette stratégie de communication renforce la responsabilisation individuelle tout en capitalisant sur l’enthousiasme créatif de la jeunesse connectée.
Dans un contexte où 70 % de la population congolaise a moins de trente-cinq ans, l’appropriation de l’opération par les jeunes constitue la clef de voûte d’un succès durable.
Logistique : entre contraintes budgétaires et partenariats
La manutention des véhicules abandonnés, le curage des caniveaux et l’acheminement des déchets vers le centre d’enfouissement de Mindouli mobilisent un budget conséquent. Pour pallier la pression sur les finances publiques, le ministère encourage les partenariats public-privé. Plusieurs sociétés de recyclage locales ont accepté d’assurer la récupération de métaux et plastiques, générant ainsi une filière d’emplois verts qui séduit les diplômés cherchant à concilier revenu et impact social.
La Banque de développement des États d’Afrique centrale a, de son côté, annoncé un appui technique portant sur la formation des conducteurs d’engins de levage. La décision rassure quant à la professionnalisation progressive du dispositif.
Perceptions et réserves des riverains
Si l’élan général est positif, certaines inquiétudes demeurent. Des commerçants informels redoutent des pertes de revenus lors des fermetures ponctuelles de rues. D’autres questionnent la pérennité de l’effort : « Il ne faut pas que ce soit un feu de paille, mais une habitude », prévient Dieudonné Makosso, vendeur de pièces détachées au marché Total.
Le ministère assure que des zones dédiées au petit commerce sont à l’étude et que les opérations se feront de manière progressive, pour éviter un brusque choc économique. Cette réponse vise à rassurer sans ralentir l’objectif prioritaire de propreté.
Les attentes des jeunes actifs
Sur les réseaux, les hashtags #VillePropre et #TousBalayeurs traduisent une impatience : voir des résultats concrets et mesurables. Beaucoup réclament la publication d’indicateurs trimestriels sur la surface libérée ou le volume de déchets évacués. Une telle transparence, soutient la sociologue Yvanna Loukaya, renforcerait « le sentiment d’appartenance et la culture de la reddition de comptes » très prisée par les générations montantes.
Vers une culture pérenne de la propreté
À moyen terme, l’opération de déguerpissement pourrait s’intégrer au tableau élargi des obligations urbaines : tri sélectif, gestion des eaux pluviales et verdissement des espaces publics. Le ministère évoque déjà une feuille de route 2025 - 2030 alignée sur l’Agenda 2063 de l’Union africaine. L’ambition rejoint la perspective nationale d’un Congo émergent, où l’esthétique urbaine devient vecteur de diplomatie et de tourisme.
L’enjeu dépasse donc le simple balayage des trottoirs. Il s’agit d’instaurer un contrat moral collectif, où l’espace public cesse d’être un lieu d’abandon pour devenir le miroir de l’identité congolaise moderne.
Une dynamique que rien ne saurait freiner
En clôturant la première journée de l’opération, Juste Desiré Mondelé a salué la mobilisation « exemplaire » des jeunes et rappelé que la propreté constitue « un acte patriotique quotidien ». Rendez-vous est pris pour le samedi suivant, preuve d’une détermination officielle à inscrire durablement la démarche dans les mœurs.
Les lampadaires tout juste réhabilités de l’avenue Matsoua illuminaient encore les tas de déchets emballés en attente de ramassage lorsque les derniers bénévoles rangeaient leurs gants. La scène, ordinaire en apparence, préfigure peut-être une nouvelle ère où Brazzaville, forte de ses balais et de ses promesses, se reconnaîtra enfin dans le reflet de ses rues neuves.
