Défi urbain et responsabilité partagée
Dans les artères principales de Brazzaville et Pointe-Noire, la modernité se lit à travers les nouvelles voiries, les façades fraîchement peintes et l’animation commerciale. Pourtant, il suffit de s’éloigner de quelques mètres pour que surgissent, entre deux parcelles, des tertres d’ordures ménagères jalonnant le paysage. Cette coexistence paradoxale traduit le défi de salubrité auquel font face les métropoles congolaises, un défi qui, loin de reposer sur un acteur unique, mobilise l’ensemble du corps social. Le citoyen qui dépose un sac plastique hors conteneur, la vendeuse de poisson qui abandonne les restes de sa marchandise à la fermeture du marché, mais aussi l’agent municipal manquant de moyens logistiques illustrent une chaîne de responsabilités imbriquées. Le professeur d’urbanisme Achille Belangui résume la situation en ces termes : « La ville est un organisme vivant ; si chaque cellule oublie sa fonction, l’ensemble souffre. »
Le nouvel élan de la collaboration publique-privée
Afin de franchir un cap, le gouvernement a conclu le 23 avril 2025 un partenariat stratégique avec la société turque Albayrak. D’un montant mensuel de 3 milliards 250 millions de francs CFA pour une durée de cinq ans, ce contrat instaure des indicateurs précis de performance, assortis de pénalités financières en cas de retard de paiement. L’objectif affiché est de garantir la régularité du ramassage et de moderniser les décharges contrôlées. Dans les quartiers Mfilou et Vindoulou, les premiers camions estampillés du logo vert et blanc de l’entreprise sillonnent déjà les avenues, suscitant curiosité et attentes. « Nous sommes venus pour transférer notre expertise acquise à Istanbul et Kigali », assure Mehmet Kiliç, directeur local d’Albayrak, qui met en avant la création de près de huit-cents emplois, majoritairement destinés aux jeunes.
Entre innovations municipales et attentes citoyennes
Parallèlement à cette dynamique nationale, la mairie de Brazzaville a mis en place les Aires de transit des ordures ménagères, mieux connues sous l’acronyme Atom. Ces plateformes, aménagées sur des terrains stabilisés, permettent de rationaliser le stockage avant le convoyage vers la décharge finale. Financés avec l’appui de l’Agence française de développement, huit camions-bennes supplémentaires complètent désormais l’effort municipal. Sur le terrain, les résultats demeurent inégaux : si la disparition de la colline d’immondices de Bongho-Nouarra atteste de l’efficacité du dispositif, certains points noirs persistent, notamment autour des marchés de Total, Tié-Tié et Poto-Poto. Les habitants interrogés saluent néanmoins la fréquence accrue des passages. « On voit la différence, mais il faut que chacun joue sa partition », confie Grâce Mouanda, étudiante en sociologie, balai à la main lors d’une opération de salubrité organisée le premier samedi du mois.
Impact sanitaire et environnemental : une urgence silencieuse
L’accumulation de déchets en milieu urbain ne relève pas seulement d’une question esthétique. Les études conjointes des ministères de la Santé et de l’Environnement montrent une corrélation entre la densité des dépôts illégaux et la recrudescence des maladies vectorielles, paludisme en tête. Les caniveaux obstrués favorisent la stagnation des eaux, lieu idéal de prolifération des moustiques. Sur le plan atmosphérique, la combustion à ciel ouvert des détritus libère d’importantes quantités de particules fines et de dioxines qui dégradent la qualité de l’air. Le docteur Léonie N’sakala alerte : « L’urbanisation rapide doit impérativement s’accompagner d’un système de gestion des déchets pour éviter une bombe sanitaire à retardement. » Les autorités en sont conscientes et multiplient les campagnes de sensibilisation radiophoniques, tandis que les établissements scolaires intègrent désormais des modules d’éducation environnementale.
Perspectives d’une culture de salubrité durable
Les défis structurels demeurent réels – étalement urbain, financement récurrent, comportementalisme – mais les signaux de progrès s’accumulent. Le récent lancement d’une application mobile permettant de géolocaliser les dépôts sauvages et d’alerter les services compétents illustre l’insertion du numérique dans la politique de la ville. Des comités de quartier se structurent pour superviser les points de collecte et imposer des amendes symboliques aux récalcitrants, démarche encouragée par les autorités afin de responsabiliser les communautés sans recourir systématiquement à la sanction pénale. De son côté, Albayrak envisage la mise en service d’une unité de tri mécanique censée valoriser près de trente pour cent des déchets solides en compost ou en granulés plastiques réinjectés dans le circuit économique local.
Au-delà de ces initiatives, c’est une éthique collective de la propreté qui s’esquisse. Le 15 août prochain, lors de la commémoration de l’indépendance, les municipalités ambitionnent de présenter des avenues débarrassées de tout amas sauvage. L’enjeu n’est pas uniquement cérémonial : il s’agit de montrer que la modernisation urbaine, chère au Plan national de développement 2022-2026, passe par la maîtrise de l’empreinte écologique des villes. En adoptant la maxime « Ma rue, mon image », plusieurs associations de jeunes entendent prouver que la lutte contre les déchets n’est pas qu’affaire de textes, mais d’une fierté citoyenne renouvelée.
