Les lettres de créance, un rituel stratégique
Sous les plafonds lambrissés du Palais du Peuple, la cérémonie du 28 juillet 2025 a respecté la liturgie républicaine : tapis rouge, escadron de la garde présidentielle et musique de la fanfare nationale. Derrière le protocole, ce passage obligé qu’est la présentation des lettres de créance scelle, selon la formule consacrée, « la prise de langue officielle entre deux États souverains ». Le chef de l’État, Denis Sassou Nguesso, y voit d’abord « un moment de confiance partagée », selon la brève allocution qu’il a délivrée devant un parterre d’officiels et de diplomates accrédités. Les deux nouveaux envoyés spéciaux, Maryse Guilbeault pour le Canada et Hidetoshi Ogawa pour le Japon, deviennent à compter de cette minute les interlocuteurs privilégiés des autorités congolaises.
Portraits croisés des émissaires canadien et japonais
Maryse Guilbeault, 61 ans, n’est pas inconnue des dossiers africains. Ancienne directrice des programmes de l’Agence canadienne de développement international, puis ambassadrice au Salvador, elle manie le français avec l’aisance d’une Montréalaise, l’espagnol avec le naturel d’une ancienne résidente d’Amérique centrale et l’allemand acquis lors d’un passage à Berlin. « Le Congo est un pivot climatique mondial et un partenaire francophone majeur », a-t-elle indiqué en aparté, soulignant la convergence entre la diplomatie climatique d’Ottawa et les priorités environnementales brazzavilloises.
Hidetoshi Ogawa, 58 ans, juriste formé à l’université de Tokyo et passé par la représentation japonaise auprès de l’Union européenne, affiche une ligne plus économique. Dans un français précis, il a rappelé le souvenir du premier accord de coopération commerciale signé en 1974 à Brazzaville. « Le Japon souhaite amplifier son soutien aux chaînes de valeur africaines, et le Congo possède des atouts qui intéressent notre secteur privé », a-t-il expliqué. Les deux diplomates partagent un credo : capitaliser sur la stabilité politique du Congo pour inscrire leur action dans le long terme.
Un capital symbolique pour Brazzaville
Recevoir dans la même matinée les représentants de pays membres du G7 confère au Congo une visibilité qui dépasse les frontières sous-régionales. L’événement confirme la centralité de Brazzaville, ville qui a accueilli en 2023 le premier Forum panafricain sur les forêts du Bassin du Congo et qui s’apprête, selon des sources au ministère des Affaires étrangères, à recevoir une réunion préparatoire à la COP 30. Dans la rhétorique présidentielle, la diplomatie congolaise se doit d’être « ouverte, pragmatique et contributive aux équilibres internationaux ». L’arrivée de deux ambassadeurs issus de continents distincts illustre cette ouverture multicentrique, saluée par plusieurs analystes comme une « diplomatie de l’équilibre » visant à diversifier les partenariats sans exclusive.
Enjeux économiques et culturels d’un double mandat
Du côté canadien, les dossiers prioritaires portent sur l’exploitation durable des ressources forestières, la formation professionnelle et l’inclusion numérique. Les discussions préliminaires évoquent un appui technique de l’Université Laval à l’École nationale d’administration et de magistrature de Brazzaville, ainsi que la possible implantation d’une antenne de l’Agence canadienne pour le commerce et le développement. La diplomate parle d’une « coopération gagnant-gagnant qui s’inscrit dans la lignée de l’accord général de 1974 ».
Le Japon, pour sa part, concentre ses intérêts sur les transports urbains, la valorisation du gaz naturel et la prévention des risques hydrologiques dans un contexte de changement climatique. Le début des travaux d’extension du Port autonome de Pointe-Noire, cofinancé par la Banque japonaise pour la coopération internationale, pourrait être accéléré. Hidetoshi Ogawa mentionne également le programme de bourses MEXT, actuellement sous-utilisé par les étudiants congolais : « Nous ambitionnons de doubler les inscriptions dès 2026. »
Au-delà des chiffres, la dimension culturelle n’est pas en reste. Un festival du film canadien en version francophone, couplé à la Semaine du manga et de l’animation japonaise, est déjà dans les cartons du ministère congolais de la Culture. Autant d’initiatives qui visent à nourrir l’imaginaire d’une jeunesse congolaise avide de connexions internationales.
La diplomatie congolaise, pivot en Afrique centrale
Cet enchaînement de visites officielles confirme une dynamique plus large : depuis 2021, le nombre d’ambassades accréditées à Brazzaville est passé de 34 à 41, selon le service du protocole. Les chancelleries voient dans la stabilité institutionnelle congolaise un avantage comparatif dans une région parfois sous tension. « Le Congo joue le rôle d’interface, capable de parler aussi bien à Luanda qu’à Yaoundé ou Kinshasa », relève Jean-Claude Mankou, enseignant-chercheur en relations internationales à l’Université Marien-Ngouabi.
La mise en œuvre du Plan national de développement 2022-2026 offre en outre des opportunités que les partenaires étrangers ne veulent pas laisser filer, notamment dans l’agriculture de transformation, les énergies renouvelables et l’économie bleue. La diplomatie congolaise devient ainsi un levier de développement intérieur : chaque nouvelle ambassade ouvre un canal supplémentaire pour la mobilisation de financements et l’échange de savoir-faire.
Au terme de la cérémonie, Denis Sassou Nguesso a insisté sur « la nécessité d’un dialogue permanent et mutuellement bénéfique ». Cette formule, souvent entendue, prend une signification particulière à l’heure où le Congo plaide pour une réforme équitable du système financier international. Les nouveaux ambassadeurs trouvent donc face à eux un interlocuteur décidé à peser sur l’agenda global, en particulier sur les questions climatiques et de dette verte.
La journée s’est achevée par les salutations d’usage, mais les enjeux, eux, ne se limitent pas aux flashes des photographes. En misant sur la complémentarité des expertises canadienne et japonaise, Brazzaville aspire à transformer des visites protocolaires en vecteurs d’un développement tangible pour ses jeunes citoyens, principaux bénéficiaires visés par cette diplomatie de projets.