Une décharge à ciel ouvert, symptôme d’une croissance urbaine accélérée
Sur la première sortie nord de Brazzaville, l’arrêt de bus Bongho-Nouarra offre un spectacle contrasté : d’un côté le ballet continu des taxi-bus reliant les quartiers périphériques au centre-ville, de l’autre le monticule d’ordures qui s’étire dans un ravin creusé par les pluies. Cette décharge spontanée, apparue il y a près de trois ans selon les riverains, a prospéré au rythme de l’expansion démographique du 9ᵉ arrondissement. Djiri, jadis zone semi-rurale, a vu sa population tripler en une décennie, accentuant la pression sur un système de collecte hérité d’un maillage urbain moins dense.
Albayrak : premiers pas d’un partenaire turc attendu au tournant
Conscientes de la nécessité de moderniser l’assainissement, les autorités nationales ont confié en 2024 la gestion de la collecte à la société turque Albayrak. À Brazzaville comme à Pointe-Noire, l’entreprise déploie progressivement camions à benne, compacteurs et points de transfert. Le directeur des opérations locales, Ismail Demir, assure que « l’objectif est de porter le taux de ramassage quotidien au-delà de 80 % d’ici dix-huit mois ». Les premiers passages dans Djiri restent toutefois espacés, le matériel priorisant les axes centraux le temps d’un maillage logistique complet. Cette phase pilote, qui s’accompagne de sessions de formation pour les conducteurs congolais, ambitionne de créer 800 emplois directs d’ici 2026, stimulés par un programme de maintenance implanté à Maloukou-Tréchot.
Risques sanitaires et environnementaux : le quotidien des riverains
Pour les habitants de Bongho-Nouarra, la menace est tangible. Le docteur Cédric Mabiala, pneumologue au Centre hospitalier et universitaire de Brazzaville, rappelle que « les particules fines issues de la décomposition organique majorent les cas de bronchite chronique et d’asthme chez les adultes jeunes exposés ». Les mouches, vectrices potentielles de gastro-entérites, prolifèrent autour du ravin où stagnent lixiviats et résidus plastiques. À la saison sèche, l’incinération sauvage déclenche des fumées toxiques, tandis qu’à la saison des pluies, les eaux de ruissellement charriant déchets et métaux lourds rejoignent parfois le lit de la Tsiémé, menaçant la biodiversité aquatique.
Responsabilité partagée : État, municipalité et citoyens en première ligne
Le cadre réglementaire, porté par le Code de l’environnement révisé en 2022, institue une responsabilité collective : l’État fixe les normes, la municipalité assure l’exécution, et les citoyens trient et présentent leurs déchets aux horaires dédiés. Pourtant, à Bongho-Nouarra, les dépôts nocturnes restent fréquents. La sociologue Carine Ndinga, auteure d’une étude sur les pratiques urbaines à Brazzaville, souligne que « l’incivisme n’est souvent qu’une conséquence d’un service perçu comme aléatoire ; lorsque le ramassage devient régulier, les comportements s’adaptent ». Les campagnes de sensibilisation menées par des associations de jeunesse, comme Djiri Vert, commencent à porter leurs fruits : les sacs biodégradables distribués lors des marchés hebdomadaires affichent désormais le slogan « Ma rue, ma fierté ».
Le plan d’action du maire Guy Rufin Adamboté : mobilisation et pédagogie
Installé le 7 juin 2025, l’administrateur-maire Guy Rufin Adamboté a fait de la délocalisation du dépotoir son chantier prioritaire. Son cabinet a obtenu l’identification d’un site de transit temporaire, éloigné des habitations, validé par la Direction générale de l’assainissement. Parallèlement, des équipes mixtes mairie-police municipale assurent une veille quotidienne afin de dissuader tout nouveau dépôt anarchique. « On ne peut pas demander aux populations de respecter un vide », précise le maire, plaidant pour une co-construction des solutions. Une convention cadre est en gestation avec le ministère de la Jeunesse pour intégrer un volet service civique, offrant aux 18-25 ans des missions rémunérées de tri et de compostage.
Vers une économie circulaire locale : perspectives pour la jeunesse
Au-delà de la disparition visuelle de la décharge, l’enjeu réside dans la valorisation des déchets organiques et plastiques. La start-up congolaise EcoCycla, fondée par deux ingénieurs de l’Université Marien-Ngouabi, expérimente déjà un module de transformation des épluchures de marché en biogaz destiné aux cantines scolaires de Djiri. À terme, l’intégration de telles initiatives dans la chaîne de collecte d’Albayrak pourrait générer une filière verte créatrice d’emplois qualifiés. Le Fonds national d’appui à l’employabilité des jeunes a, pour sa part, réservé une enveloppe de 150 millions de francs CFA pour soutenir les micro-entreprises du recyclage en 2025.
Un rendez-vous avec l’avenir : construire une Brazzaville propre et inclusive
La transformation de Bongho-Nouarra ne se décrètera pas en un jour, mais les jalons posés témoignent d’une volonté partagée. Les pouvoirs publics renforcent la gouvernance, le secteur privé apporte expertise et capitaux, tandis que la société civile impulse une dynamique de vigilance et d’innovation. Au-delà du cas d’école qu’elle représente, la décharge de Djiri interroge notre rapport collectif à la ville : l’espace public n’est-il pas le miroir de notre ambition commune ? Dans une capitale qui se rêve en vitrine régionale, offrir à chaque habitant un environnement sain équivaut à bâtir un socle de cohésion et de prospérité. À Djiri, la page n’est pas encore tournée, mais la plume est désormais entre toutes les mains.