Un patrimoine naturel convoité par la jeunesse
À une quinzaine de kilomètres du centre-ville de Brazzaville, le Djoué déroule son ruban argenté entre rochers ocre, plages improvisées et végétation luxuriante. Si les cartes postales vantent depuis longtemps la vue spectaculaire sur les cataractes, c’est surtout la génération des 20-35 ans qui, ces dernières années, a redonné vie au site. La promesse d’une eau revigorante et d’un décor Instagram-compatible aiguise un appétit de plein air qui s’accorde avec la montée en puissance du tourisme intérieur après la pandémie.
Les guides de quartier évoquent une fréquentation pouvant dépasser le millier de baigneurs lors des week-ends prolongés. « Nous venons ici pour fuir la chaleur et entendre autre chose que les klaxons de la ville », confie Junior Ngouabi, étudiant en droit, serviette jetée sur l’épaule. Cette affluence, bien que porteuse d’opportunités économiques, met également en lumière un impératif : assurer des conditions de loisir sans péril.
Données alarmantes : comprendre les risques hydrologiques
Sous l’apparente quiétude des flots se cache un régime hydraulique complexe. Le Djoué, affluent direct du majestueux Congo, est soumis à des variations de débit brutales amplifiées par les lâchers du barrage hydroélectrique éponyme. Les courants de retour, invisibles en surface, piègent les nageurs inexpérimentés. Les services de protection civile recensent, depuis janvier, sept décès par noyade, dont la majorité concerne des adolescents âgés de 15 à 18 ans. Les témoignages convergent : le scénario se répète, quelques minutes de lutte silencieuse, un cri étouffé, puis le vide.
Le lieutenant Marien Tchicaya, plongeur professionnel, explique que « la profondeur peut passer de deux à huit mètres sur un même couloir d’eau », rendant le repérage des zones dangereuses difficile pour des nageurs amateurs. La méconnaissance des signes avant-coureurs – bulles persistantes, remous circulaires, variations subites de couleur – accentue la vulnérabilité des visiteurs.
Initiatives institutionnelles pour une baignade sûre
Conscient de l’enjeu, le ministère du Tourisme et de l’Environnement a intégré, en mai, un volet sécuritaire spécifique au Djoué dans le Plan national de développement touristique 2022-2026. Le programme, annoncé par la ministre Destinée Hermella Doukaga lors d’une visite de terrain, prévoit la cartographie des zones à fort courant, l’installation de postes de secours et la formation de maîtres-nageurs professionnels recrutés localement. Un budget initial de cent vingt millions de francs CFA est mobilisé pour la première phase, selon les chiffres communiqués.
Les collectivités territoriales ne sont pas en reste. La mairie de Brazzaville, en partenariat avec la société civile, teste depuis juin des panneaux en langue française et en lingala précisant profondeur et courant moyen. Les premiers retours montrent une fréquentation mieux répartie : les baigneurs se concentrent désormais sur les anses à flux modéré identifiées par les équipes techniques.
Responsabilité citoyenne et culture de la prévention
Au-delà de l’action publique, la prévention s’ancre également dans la cellule familiale. Les associations de parents d’élèves des arrondissements 1 et 8 organisent, chaque début de vacances, des séances de sensibilisation dans les écoles et les lieux de culte. Le message est simple : gilet de sauvetage avant toute immersion, interdiction de nage en solo, alerte immédiate en cas de difficulté. « Un enfant averti demeure un adulte vivant », martèle sœur Bénédicte Moundélé, enseignante et bénévole.
Parallèlement, les start-ups congolaises s’emparent du sujet. L’application mobile OneRiver, développée par de jeunes ingénieurs de l’Université Marien-Ngouabi, propose une carte interactive en temps réel du niveau d’eau et des points de vigilance. Téléchargée plus de cinq mille fois en trois mois, elle témoigne d’une volonté générationnelle de conjuguer technologie et sécurité.
Vers un écosystème touristique durable et inclusif
La sécurisation du Djoué ne relève pas uniquement d’une logique de protection ; elle s’inscrit dans une ambition plus large de valorisation économique. L’Office national du tourisme chiffre à cinquante-neuf milliards de francs CFA les retombées potentielles annuelles d’un circuit « Brazzaville-cataractes » structuré, mêlant écotourisme, artisanat riverain et restauration. Pour atteindre ces perspectives, la qualité de l’accueil et la confiance des visiteurs demeurent cruciales.
Les opérateurs privés, conscients de cette dynamique, envisagent la création d’un centre récréatif écologique intégrant piscines naturelles sécurisées, sentiers balisés et espaces d’éducation à l’environnement. L’appel à projets, publié en juillet, encourage les investisseurs nationaux et la diaspora à proposer des infrastructures respectueuses du paysage et de la culture locale.
Ainsi, l’onde du Djoué, autrefois simple refuge spontané contre la chaleur, devient un laboratoire de coopération où se croisent ambitions institutionnelles, innovations citoyennes et attentes d’une jeunesse avide de loisirs sûrs. L’enjeu dépasse la prévention des noyades : il s’agit de transformer un trésor naturel en vitrine durable du Congo, où se conjuguent sérénité, croissance et fierté patrimoniale.
