Carrefour stratégique du Niari
Au sud-ouest du Congo-Brazzaville, la gare routière de Dolisie pulse dès l’aube. Les passagers venus de Pointe-Noire, Brazzaville ou Kibangou se pressent sous les hangars métalliques, bagages sur la tête, billets froissés et espoirs de retrouvailles dans la poche.
Les haut-parleurs égrainent les destinations tandis que le vrombissement des moteurs dessine une bande-son continue. Cette atmosphère immersive séduit les voyageurs autant qu’elle renseigne sur l’importance logistique de l’infrastructure, troisième nœud de transport collectif du pays après Brazzaville et Pointe-Noire.
Selon la direction départementale des Transports, près de mille départs hebdomadaires sont recensés, un chiffre en hausse constante depuis cinq ans, porté par la croissance démographique et l’amélioration progressive des axes routiers financés en partie par des partenariats public-privé.
Un moteur économique urbain
Autour des quais, l’activité commerciale foisonne. Artisans, vendeuses de beignets, chargeurs et changeurs de monnaie forment un micro-écosystème générateur de revenus directs pour plus de deux mille familles, d’après une enquête de l’Institut national de la statistique publiée fin 2023.
« La gare est notre premier bureau », glisse Loïc, chauffeur depuis dix ans, le regard rivé sur la file de bus Toyota. Chaque rotation lui assure un salaire régulier, complété par les commissions sur les colis express que les commerçants expédient vers Nkayi ou Madingou.
L’administration municipale perçoit des taxes d’embarquement et des droits de stationnement qui, selon le trésorier urbain, représentent près de 15 % des recettes fiscales propres de la ville. Cet apport soutient l’entretien des voiries et le financement de micro-projets sociaux.
Défis d’aménagement encore tangibles
Malgré cette vitalité, les abords immédiats accusent un déficit d’infrastructures essentielles. Les usagers pointent l’absence de sanitaires fonctionnels, l’étroitesse du parking et l’insuffisance des raccordements piétons vers les quartiers Marien-Ngouabi et Tsiémé-Tsiémé.
Un diagnostic élaboré par l’Agence congolaise de l’urbanisme souligne que la gare a été pensée initialement pour 500 passagers par jour; elle en reçoit désormais plus du triple. Cette saturation engendre des files parfois longues et une cohabitation délicate entre bus, motos-taxi et piétons.
Les questions environnementales émergent aussi. Le trafic concentré provoque poussières, huiles usées et émissions de gaz. Faute de système de drainage moderne, les premières pluies de mars inondent régulièrement les quais, compliquant l’embarquement et menaçant la chaussée de dégradation accélérée.
Le maire de Dolisie, Antoine Bissiki, affirme avoir transmis un projet de réhabilitation au ministère de l’Équipement. « Nous prévoyons un forage, des blocs sanitaires et une rénovation des box commerciaux. Les études techniques sont bouclées », assure-t-il.
Attentes d’une génération mobile
Pour les 20-35 ans, utilisateurs majoritaires, la connectivité numérique figure parmi les réclamations prioritaires. Peu de bornes de recharge existent et le signal internet reste fluctuant, situation paradoxale dans une ville où le secteur numérique emploie déjà plusieurs centaines de jeunes diplômés.
« Je perds parfois des cours en ligne pendant l’attente », regrette Stéphanie, étudiante en gestion logistique. Elle souhaiterait un espace de coworking ouvert jour et nuit. Ces demandes rejoignent la stratégie gouvernementale de transformation digitale, qui encourage les opérateurs à installer du Wi-Fi public.
Les entreprises de transport, de leur côté, militent pour une billetterie entièrement dématérialisée afin de réduire les files et sécuriser les recettes. Une start-up locale teste depuis février un paiement mobile qui, d’après ses promoteurs, a déjà séduit quatre cents passagers hebdomadaires.
Vers une modernisation inclusive
Le plan national de développement 2022-2026 cite expressément la modernisation des gares routières comme levier de croissance hors pétrole. À Dolisie, l’État et la mairie envisagent un partenariat avec la Banque de développement d’Afrique centrale pour mobiliser près de 3 milliards de francs CFA.
Les travaux prévus incluent un hall climatisé, un système d’adduction d’eau par forage et des panneaux solaires destinés à baisser la facture énergétique. Le chantier, une fois lancé, pourrait générer 300 emplois temporaires et renforcer l’attractivité de la ville surnommée « capitale de l’or vert ».
La Société congolaise des transports urbains envisage d’introduire des bus électriques pilotes afin de réduire l’empreinte carbone. Une étude de faisabilité, réalisée avec un cabinet marocain, propose une autonomie de 300 kilomètres adaptée aux itinéraires Dolisie-Loudima et Dolisie-Pointe-Noire.
Pour les habitants, la modernisation promise ne devra pas effacer la convivialité actuelle. Les gargotes, la musique des chargeurs et l’accueil spontané font partie de l’ADN du lieu. « Il faut moderniser sans aseptiser », sourit Mireille, vendeuse de boissons depuis 2007.
Le succès de la transformation dépendra de la formation des personnels. L’École nationale d’ingénierie des transports de Brazzaville prépare un module dédié à la gestion des hubs régionaux, incluant billetterie électronique, sécurité incendie et accueil client, attendu pour la rentrée prochaine.