Le rouble s’invite dans la facture nucléaire égyptienne
Le décret signé par Vladimir Poutine le 24 juin dernier a pris des airs de coup de théâtre monétaire : désormais, les 25 milliards de dollars prêtés en 2015 pour ériger la centrale nucléaire de Dabaa seront remboursés en roubles. Le texte entérine la modification contractuelle actée par les deux exécutifs le 16 septembre 2024, selon laquelle l’Égypte, réputée à jour de ses échéances, privilégiera la devise russe pour solder le financement de son premier programme nucléaire civil. Pour Moscou, l’opération constitue une démonstration tangible de la résilience du rouble dans les échanges internationaux, tandis que Le Caire y voit une soupape face à la raréfaction de ses réserves en devises fortes.
Les dessous financiers d’un virage monétaire
Le projet Dabaa, confié à Rosatom sur les rives méditerranéennes égyptiennes, mobilise quatre réacteurs de troisième génération totalisant 4 800 MW. Jusqu’ici, chaque tranche d’intérêts était calibrée sur des coupons indexés au dollar. Le basculement en roubles repose sur un mécanisme de conversion périodique établi par les banques centrales des deux pays, assorti d’un corridor de fluctuation minimisant le risque de change. D’après Vladimir Kolychev, vice-ministre russe des Finances, cette architecture vise à « fluidifier un calendrier de remboursement d’ici 2050 tout en limitant l’exposition aux marchés de changes dominés par la Réserve fédérale américaine » (agence RIA). Le Caire, confronté à une hausse de ses importations céréalières et énergétiques, y gagne une marge de manœuvre budgétaire non négligeable.
Rosatom et la diplomatie énergétique africaine
En se positionnant comme bailleur, constructeur et exploitant partiel, Rosatom renforce sa visibilité sur le marché africain du nucléaire civil. La firme publique, déjà engagée au Nigeria et en Afrique du Sud, consolide ainsi un corridor stratégique reliant la mer Noire au canal de Suez. Selon le think-tank britannique Chatham House, le chantier de Dabaa « sert de vitrine technologique et de levier diplomatique pour la Fédération de Russie ». Concrètement, le protocole financier pratiqué avec l’Égypte pourrait inspirer d’autres capitales subsahariennes intéressées par l’atome civil, en particulier celles qui redoutent la volatilité du dollar. L’enjeu dépasse donc la simple production d’électricité : il touche à la capacité de Moscou d’ancrer le rouble comme instrument de financement à long terme.
Une cascade d’impacts macroéconomiques pour Le Caire
À court terme, l’allègement de la pression sur les réserves en dollars devrait offrir à la Banque centrale égyptienne un bol d’air face à l’inflation importée, qui flirtait déjà avec les 30 % au premier trimestre 2024. La conversion du prêt limite en outre les appels sur le marché obligataire international, dont les taux se sont tendus dans le sillage des resserrements monétaires occidentaux. Toutefois, quelques économistes du Caire rappellent que le risque de change n’a pas disparu : un affaiblissement prononcé du rouble ferait mécaniquement gonfler le service de la dette exprimé en livres égyptiennes. Le gouvernement, qui table sur une mise en service du premier réacteur en 2028, mise sur une diversification de ses recettes touristiques et gazières pour amortir d’éventuelles variations.
Le signal adressé aux économies émergentes
Au-delà du périmètre russo-égyptien, l’accord s’inscrit dans une dynamique de dédollarisation perceptible au sein des BRICS élargis. Plusieurs membres, à l’image du Brésil ou de l’Inde, expérimentent déjà des règlements en monnaies locales pour le commerce bilatéral. Pour le politologue kenyan Patrick Mutua, « l’exemple de Dabaa illustre la manière dont les infrastructures stratégiques deviennent un laboratoire de souveraineté monétaire ». Cette évolution pourrait accélérer la création d’instruments de couverture régionaux, voire encourager l’émission d’obligations libellées en monnaies africaines, un objectif régulièrement évoqué par la Banque africaine de développement.
Jeunes congolais face à la reconfiguration monétaire mondiale
À Brazzaville comme à Pointe-Noire, nombre de jeunes professionnels scrutent ce basculement avec un intérêt pragmatique. La perspective d’un financement de grands travaux en monnaies alternatives ouvre de nouvelles pistes de coopération pour la République du Congo, dont le Plan national de développement 2022-2026 mise sur des partenariats diversifiés afin d’accroître la capacité énergétique nationale. Plusieurs start-ups congolaises spécialisées dans la fintech y voient l’occasion de concevoir des plateformes de paiement transfrontalières capables d’agréger le franc CFA, le rouble ou encore le yuan. Sans nourrir d’illusions démesurées, l’épisode Dabaa rappelle que la carte monétaire mondiale demeure mobile, et que les économies africaines disposent d’un espace grandissant pour négocier des financements plus adaptés à leurs réalités. L’enjeu, pour la jeunesse congolaise, sera de cultiver les compétences linguistiques, juridiques et techniques nécessaires afin de transformer ces mouvances géo-économiques en opportunités concrètes.