Une dotation qui tombe à pic pour le système de santé
Dans une salle discrète du ministère de la Santé, les cartons scellés aux caractères mandarins s’alignaient encore, lorsque le chef de la mission médicale chinoise, Wang Zhitao, a annoncé le montant exact : 27,51 millions de francs CFA en médicaments et matériels médico-chirurgicaux. Cette dotation, réceptionnée par le directeur de cabinet du ministre, Donatien Moukassa, puis acheminée vers l’hôpital de l’amitié sino-congolaise de Mfilou, constitue la tranche la plus récente d’un appui initié depuis bientôt deux décennies. Elle intervient dans un contexte où la demande de soins de qualité s’intensifie, notamment parmi les 20-35 ans, tranche d’âge qui représente plus de la moitié de la population nationale, selon l’Institut national de la statistique.
Coopération sanitaire sino-congolaise : continuités et inflexions
L’accord-cadre qui régit la présence médicale chinoise au Congo date de 1967 et a été reconduit à intervalles réguliers. Depuis l’ouverture de l’hôpital de Mfilou en 2013, Pékin a dépêché au total onze missions successives, chacune composée d’une vingtaine de praticiens. « Notre partenariat se veut avant tout technique et solidaire », rappelle Wang Zhitao, soulignant que la valeur symbolique du don excède son prix financier. Les autorités congolaises, de leur côté, mettent en avant un transfert de compétences progressif : plus de 120 internes ont déjà bénéficié de stages encadrés par les équipes chinoises, précise la direction générale des établissements publics de santé.
Un renforcement du plateau technique de Mfilou
Sur le plan concret, les caisses fraîchement livrées contiennent des antibiotiques à spectre large, des antipaludéens de nouvelle génération, des anti-inflammatoires injectables, mais aussi des sets d’arthroscopie et des moniteurs multiparamétriques. Le directeur de l’hôpital, Roger Oyeré, explique que la disponibilité immédiate de ces consommables permettra de réduire les délais d’attente au bloc opératoire et de stabiliser le stock pharmaceutique pour environ six mois. Le service d’urgences, très fréquenté par une population jeune exposée aux accidents de moto-taxi, devrait être le premier bénéficiaire.
Perspectives pour la jeunesse : formation et professionnalisation
Au-delà des équipements, l’enjeu principal reste la formation d’une relève médicale locale capable d’intégrer et d’entretenir ces technologies. « Nous voulons que les jeunes médecins congolais se sentent pleinement acteurs dans ce processus », insiste Donatien Moukassa. L’hôpital de Mfilou envisage l’ouverture d’un programme de simulation en chirurgie mini-invasive, cofinancé par la coopération chinoise et le Fonds national d’appui à la jeunesse. Pour Mireille Ngoma, interne en quatrième année, l’arrivée de moniteurs modernes constitue « une occasion inédite de se familiariser avec les standards internationaux sans quitter Brazzaville ».
Enjeux économiques et durabilité de l’aide
La valeur affichée du don – 27,51 millions FCFA – représente certes moins de 0,05 % du budget national de la santé, mais elle soulève la question de la soutenabilité à long terme. Les autorités tablent sur une stratégie duale : maintenir l’appui externe tout en stimulant une production pharmaceutique locale embryonnaire. Le ministère de l’Économie estime que le marché des dispositifs médicaux pourrait atteindre 40 milliards de FCFA d’ici 2028 si des partenariats public-privé voient le jour. Dans cette perspective, le don chinois agit comme un catalyseur qui sécurise l’offre immédiate tout en laissant entrevoir la constitution d’une filière nationale, créatrice d’emplois pour les diplômés en biotechnologies.
Diplomatie de la santé : une visibilité mutuellement bénéfique
Sur le plan diplomatique, la remise officielle des produits pharmaceutiques sert de vitrine aux relations bilatérales. Pékin, engagé dans l’Initiative la Ceinture et la Route, renforce sa présence sur le continent africain en misant sur la « voie de la santé » pour reprendre la formule du porte-parole de l’ambassade de Chine à Brazzaville. À l’échelle nationale, le gouvernement congolais valorise cette coopération comme un soutien tangible à sa stratégie « Santé 2025 », laquelle vise à réduire de 30 % la mortalité néonatale. L’opinion publique y voit souvent la preuve que l’amitié historique entre les deux pays conserve une capacité opérationnelle, loin des déclarations d’intention.
Regards critiques et attentes citoyennes
Si le geste est largement salué, certains acteurs de la société civile invitent cependant à une transparence accrue dans la traçabilité des dons. L’Observatoire congolais de la santé suggère la publication semestrielle d’un rapport détaillant l’utilisation de chaque lot sanitaire. Cette exigence n’est pas perçue comme une remise en cause du partenariat, mais comme une étape indispensable à la bonne gouvernance, notion chère à une jeunesse congolaise de plus en plus instruite et connectée. Pour l’heure, le ministère assure qu’un comité de suivi publiera un premier bilan avant la fin de l’année.
Une pierre de plus dans l’édifice sanitaire national
Au terme de la cérémonie de remise, les cartons ont été précautionneusement stockés dans la pharmacie centrale de Mfilou, sous la supervision d’un pharmacien militaire et d’un logisticien civil. Geste protocolaire pour certains, signe d’une solidarité persistante pour d’autres, le don chinois rappelle que la santé demeure un pont privilégié entre États, capable de produire des effets immédiats sur la vie quotidienne de milliers de patients. Pour les jeunes adultes congolais, souvent à l’intersection des aspirations économiques et des vulnérabilités sanitaires, ces 27 millions de FCFA ne sauraient tout régler, mais ils offrent un indispensable souffle d’oxygène au secteur hospitalier. Dans l’attente de réformes structurelles, chaque seringue, chaque flacon reste la promesse, modeste mais concrète, d’un soin rendu possible.