Un rêve de 4 000 kilomètres d’énergie verte
Au départ, la fresque semblait taillée pour les superlatifs. Quatre câbles HVDC de près de 4 000 kilomètres de long, un investissement annoncé de 25 milliards de livres sterling, et la promesse de verdir jusqu’à huit pour cent de la consommation électrique britannique à l’horizon 2030. Aux confins du désert de Guelmim-Oued Noun, le consortium Xlinks ambitionnait d’exploiter 10,5 GW de solaire et d’éolien marocains pour les convertir en 3,6 GW d’énergie de base livrée en Cornouailles. Par sa portée, le projet illustrait le passage d’une transition énergétique centrée sur le domestique à une logique d’interdépendance intercontinentale.
Londres ferme le robinet des garanties publiques
Le 26 juin, le ministre britannique de l’Énergie, Michael Shanks, a prononcé la sentence devant la Chambre des communes. « Les risques de livraison et de sécurité d’approvisionnement demeurent trop élevés », a-t-il déclaré, ajoutant que l’initiative n’était « plus alignée sur notre stratégie de production locale » (Reuters). La décision met fin à la perspective d’un contrat d’achat à prix fixe sur vingt-cinq ans, levier indispensable pour drainer la dette longue exigée par les investisseurs. Plus de 100 millions de livres, apportés notamment par TotalEnergies et Africa Finance Corporation, se retrouvent ainsi exposés sans filet public.
Un coup d’arrêt, pas le glas selon Xlinks
Face à ce revers, Dave Lewis, président de Xlinks, s’est dit « amèrement déçu », tout en affirmant que « l’appétit des marchés pour financer la phase de construction reste supérieur à nos besoins » (Financial Times). La société dispose déjà de permis environnementaux et visait un début des travaux en 2027. Restent pourtant les interrogations sur le montage financier : sans garantie souveraine britannique, les coûts de capitaux grimperaient de plusieurs points, compliquant la promesse d’un tarif compétitif pour les ménages d’outre-Manche.
Enjeux géopolitiques des câbles sous-marins
L’épisode rappelle combien les infrastructures d’interconnexion électrique sont devenues des objets géopolitiques. Outre les considérations climatiques, la sécurité des câbles – exposés tant aux aléas sismiques qu’aux tensions maritimes – nourrit la prudence des gouvernements. La récente coupure accidentelle du câble « SeaMeWe-5 » en mer Rouge a ravivé ces craintes. Dans ce contexte, le retrait de Londres s’interprète aussi comme un signal envoyé à l’Union européenne, engagée dans ses propres négociations d’importation d’électricité verte depuis l’Afrique du Nord.
Leçons pour les ambitions électriques africaines
Au-delà du choc médiatique, l’affaire Xlinks offre un miroir aux pays africains qui souhaitent valoriser leur excédent renouvelable. Elle rappelle qu’un mégaprojet n’est viable que si l’acheteur final sécurise durablement la demande, si la gouvernance contractuelle rassure les capital-markets et si la dimension sociale locale est intégrée dès la conception. Pour les acteurs congolais désireux d’exporter l’hydroélectricité du plateau des Cataractes ou de la Cuvette, la discipline financière et la clarté réglementaire apparaissent donc comme des prérequis incontournables.
Vers une diplomatie énergétique plus inclusive
Pour le Royaume-Uni, la rupture s’inscrit dans un virage vers la relance nucléaire domestique et l’éolien off-shore, destinés à garantir l’autonomie stratégique. Le Maroc, de son côté, réaffirme son objectif de 52 % d’électricité renouvelable d’ici 2030 et pourrait se tourner vers l’Espagne ou le marché continental pour écouler ses surplus. Entre les deux rives, l’épisode inaugure peut-être une ère où les partenariats énergétiques se négocieront moins sur la promesse de méga-câbles héroïques que sur des logiques de réseaux régionaux, plus modulaires et plus résilients.
Regards d’avenir
Si le câble marocain vers la Grande-Bretagne se trouve provisoirement à l’arrêt, il ne signe pas la fin des interconnexions Sud-Nord. Il ouvre plutôt un cycle de maturation où la finance, la gouvernance et la technologie devront converger pour que les electron-routes transcontinentales deviennent une réalité sûre et équitable. Au cœur de cette dynamique, l’Afrique centrale, riche de ses fleuves et de son soleil, dispose d’atouts considérables, à condition d’attirer les capitaux par une stabilité politique et réglementaire renforcée.
