Diplomatie culturelle congolaise : ambitions régionales
Depuis quelques années, Brazzaville mise résolument sur la culture et le savoir comme leviers de rayonnement international. La récente séquence menée par le Premier ministre, Anatole Collinet Makosso, en Afrique de l’Ouest illustre cette stratégie qui conjugue offensive diplomatique et capitalisation des succès congolais au sein des organisations multilatérales. En rappelant que « la diffusion du génie africain commence par la reconnaissance de nos propres talents », le chef du gouvernement a placé son message dans le registre d’un soft power assumé, loin des schémas strictement sécuritaires souvent associés à la coopération inter-états sur le continent.
Au-delà du symbolique, il s’agit d’inscrire le Congo dans les cercles décisionnels où se négocient demain les standards éducatifs, scientifiques et patrimoniaux. La candidature de Firmin Édouard Matoko au poste de directeur général de l’UNESCO devient dès lors la pièce maîtresse d’un dispositif visant à faire entendre, selon les mots d’un diplomate congolais, « une voix d’Afrique capable de fédérer plutôt que d’opposer ».
Abuja et Brazzaville : une synergie stratégique
Première étape du périple, Abuja a offert au Premier ministre un terrain propice pour réactiver une relation bilatérale dense mais parfois discrète. Reçu par la ministre déléguée aux Affaires étrangères, Bianca Odumegwu Ojukwu, Anatole Collinet Makosso s’est félicité d’une « alliance africaine fondée sur le respect réciproque des souverainetés et la reconnaissance des compétences ». Les deux parties ont passé en revue les secteurs clés – énergie, formation, mobilité universitaire – où une coopération renforcée pourrait générer des programmes conjoints dès 2025.
Dans la capitale nigériane, le chef du gouvernement a également rencontré Rocha Okorosha, directrice de la Fondation Rocha, partenaire de la Fondation Congo Assistance depuis 2017. Cette convergence des initiatives philanthropiques confirme que la diplomatie congolaise s’autorise désormais des passerelles entre acteurs étatiques et société civile, terrain sur lequel le Nigeria dispose d’un écosystème dynamique susceptible d’inspirer Brazzaville.
Sassou Nguesso et Traoré : convergences sécuritaires et économiques
Cap ensuite sur Ouagadougou, où le Premier ministre a transmis un message personnel du président Denis Sassou Nguesso au capitaine Ibrahim Traoré. Sans omettre les réalités sécuritaires du Sahel, le courrier souligne la « combativité » des autorités burkinabè et réaffirme l’importance de la stabilité pour l’ensemble de la sous-région. « Nos trajectoires politiques partagent l’exigence de protéger l’intégrité territoriale tout en créant les conditions de la paix durable », a souligné Anatole Collinet Makosso devant la presse locale.
Au-delà de la solidarité politique, Brazzaville juge stratégique la modernisation des infrastructures engagée par Ouagadougou, condition sine qua non d’une Zone de libre-échange continentale opérationnelle. Le Premier ministre a indiqué que « l’intégration des peuples se joue sur les routes, les pipelines et les réseaux numériques autant que dans les salons diplomatiques ». Une convergence de vues qui ouvre la voie à des partenariats publics-privés, notamment dans la logistique agricole et l’ingénierie routière, domaines où des entreprises congolaises ambitionnent de se positionner.
Firmin Édouard Matoko : un atout africain pour l’UNESCO
Au cœur de la tournée, la candidature de Firmin Édouard Matoko concentre les attentes. Fort de quinze années à l’UNESCO, dont il a piloté la très stratégique Priorité Afrique, ce diplomate est décrit par Abuja comme « un profil de continuité et d’innovation ». Ouagadougou, pour sa part, souligne « la nécessité d’une personnalité capable de faire dialoguer toutes les géographies dans un contexte de crispations multilatérales ».
Pour Brazzaville, placer l’un des siens à la tête de l’organisation onusienne équivaut à sécuriser un relais d’influence sur les politiques éducatives et patrimoniales mondiales. Le Premier ministre a rappelé que « l’UNESCO a plus que jamais besoin de cadres aguerris pour défendre le multilatéralisme et promouvoir les valeurs de paix ». Dans un contexte où certains États s’éloignent des forums internationaux, cette candidature s’avance comme une option de stabilité.
Soft power et jeunesse : quelles retombées espérer ?
Derrière les échanges protocolaires, les jeunes Congolais interrogent les retombées concrètes d’une telle démarche. Plusieurs analystes estiment que la réussite de Firmin Édouard Matoko pourrait accélérer l’obtention de bourses de mobilité, de programmes d’entrepreneuriat culturel et de coopérations universitaires, autant d’outils susceptibles de renforcer l’employabilité dans un pays où près de 60 % de la population a moins de trente-cinq ans.
En filigrane, la tournée ouest-africaine consolide l’image d’un Congo acteur et non simple spectateur de la scène régionale. Elle affirme une diplomatie qui, tout en demeurant attentive aux défis sécuritaires, mise sur les leviers immatériels pour bâtir son avenir. Reste aux différentes parties prenantes – gouvernements, secteur privé, société civile – à convertir cette dynamique en initiatives palpables pour la jeunesse, gage ultime de la crédibilité d’un soft power made in Brazzaville.