Une salle qui combine studio vidéo et fabrique de contenus interactifs
Dans l’enceinte feutrée du campus numérique de l’Agence universitaire de la Francophonie, des diodes s’allument désormais au rythme des enregistrements pédagogiques. Le laboratoire multimédia inauguré à Brazzaville rassemble en un seul espace caméras haute définition, régies virtuelles et logiciels de post-production. Autrement dit, un concentré de technologies capables de convertir une simple leçon en contenu interactif prêt à circuler sur les plateformes d’e-learning les plus exigeantes.
« Nous pouvons enregistrer, mixer, incruster et exporter en quelques clics », s’est félicité Donjul Tchi Ngoma, responsable du campus, évoquant un gain de temps décisif pour les équipes de formation. L’investissement, premier du genre dans la capitale, rejoint un réseau de vingt-cinq laboratoires Auf disséminés sur quatre continents, dont cinq en Afrique centrale, offrant aux étudiants congolais la même qualité de ressources que leurs homologues de Montréal ou de Bucarest.
Former pour transformer : la montée en compétence des enseignants
Une caméra ne remplace pas un pédagogue, mais elle élargit sa portée. Conscient de cet enjeu, Sorin Mihai Cimpeanu, président de l’Auf, a insisté sur la nécessité de « former les formateurs » afin qu’ils conçoivent des capsules adaptées aux rythmes d’apprentissage en ligne. L’objectif déclaré est de permettre aux maîtres de conférences, souvent cantonnés à la salle de cours classique, d’acquérir les réflexes audiovisuels et scénaristiques requis par le numérique.
Le projet intègre ainsi des ateliers méthodologiques sur la scénarisation, le montage et l’optimisation des formats courts, plébiscités par les apprenants de la génération TikTok. Slim Khalbous, recteur de l’Auf, y voit un levier de « résilience permanente » face aux cycles d’innovation de plus en plus rapides, convaincu que la compétence audiovisuelle deviendra bientôt aussi indispensable qu’une bibliographie actualisée.
Un chaînon stratégique pour l’ambition numérique gouvernementale
Brazzaville souhaite plus que jamais arrimer son université publique à l’économie de la connaissance. La ministre de l’Enseignement supérieur, le professeur Delphine Édith Emmanuel, a rappelé que la modernisation administrative repose sur une interconnexion de toutes les facultés. L’outil multimédia se place donc au cœur d’un écosystème où inscriptions, délivrance de relevés de notes et agréments d’instituts privés seront progressivement dématérialisés.
« Nous allons nous mettre en réseau », a-t-elle affirmé, soulignant l’avantage de consulter en temps réel la situation académique de chaque établissement depuis le siège du ministère. En alignant ainsi la production de contenus pédagogiques et la gouvernance des données, les autorités entendent réduire la fracture numérique interne et faciliter la mutualisation des ressources rares, à commencer par la bande passante.
Des opportunités nouvelles pour les start-up étudiantes et les métiers créatifs
Au-delà de la sphère académique, la salle de production ouvre des perspectives aux start-up incubées au sein des universités. Qu’il s’agisse de concevoir des podcasts scientifiques, des web-documentaires patrimoniaux ou des supports de marketing digital, les étudiants en communication, informatique ou design disposent désormais d’un environnement semi-professionnel pour prototyper leurs projets.
Cette dynamique pourrait stimuler un marché local de services audiovisuels encore embryonnaire, tout en valorisant la créativité congolaise. Pour de jeunes développeurs, la présence d’équipements compatibles avec les standards internationaux simplifie l’exportation de contenus vers les plateformes de cours massifs en ligne, ouvrant des revenus jusque-là insoupçonnés.
Une carte de plus dans le jeu de l’employabilité des jeunes diplômés
Selon les dernières données de la Banque mondiale, moins d’un tiers des jeunes diplômés d’Afrique centrale trouve un emploi correspondant à sa qualification dès la première année de sortie. En permettant aux étudiants de maîtriser la chaîne de production numérique, le laboratoire crée une passerelle pratique entre théorie universitaire et compétences recherchées par le secteur privé, notamment les agences de communication, les télévisions en ligne et les institutions internationales.
À terme, la capacité à produire un module vidéo multilingue ou un tutoriel interactif pourrait peser lourd dans les processus de recrutement, rapprochant ainsi l’université congolaise des standards de formation continue exigés par les entreprises transnationales.
Regards croisés des partenaires : adaptation et résilience face au changement technologique
La cérémonie d’inauguration, rehaussée par la présence de Jean Luc Mouthou, ministre de l’Enseignement préscolaire, primaire, secondaire et de l’alphabétisation, a symbolisé l’importance d’une approche interministérielle. Les partenaires privés, invités à tester la plateforme, ont souligné la valeur d’un cadre où innovations technologiques et régulation publique se nourrissent mutuellement. L’Auf, de son côté, rappelle que l’accès aux équipements reste gratuit pour les membres du réseau, instaurant une égalité d’opportunités rarement observée dans les écosystèmes numériques africains.
Le partenariat gagnant-gagnant consiste à garantir une maintenance pérenne, à encourager la production de contenus locaux et à favoriser la recherche de financements complémentaires pour étoffer le parc matériel sans grever les budgets publics.
Vers un écosystème éducatif interconnecté, inclusif et compétitif
En dépit des défis logistiques, l’initiative de l’Auf-Congo constitue un jalon vers une université tournée vers les standards internationaux. Elle donne corps à l’idée d’un campus distribué, dans lequel la salle de cours se prolonge sur le smartphone de l’étudiant, où qu’il se trouve sur le territoire national. Le modèle brazzavillois, s’il est consolidé, pourrait inspirer d’autres capitales régionales et renforcer l’attractivité du Congo-Brazzaville dans la compétition africaine pour les talents.
À l’heure où les classements universitaires prennent en compte l’innovation pédagogique autant que la recherche, ce laboratoire multimédia offre un argument supplémentaire pour convaincre la diaspora scientifique de s’impliquer et les partenaires internationaux d’accompagner la modernisation engagée. La promesse est claire : fournir aux jeunes Congolais les outils pour raconter leur propre histoire, concevoir leurs propres savoirs et, à terme, bâtir une économie numérique à leur mesure.
