Un laboratoire sur roues, rêve devenu réalité
Dans un atelier boisé du quartier Plateau des 15-Ans à Brazzaville, une camionnette blanche se transforme chaque jour en mini-laboratoire bourré de microscopes, de capteurs et de tablettes. C’est le cœur palpitant d’EduLab Mobile, projet imaginé par l’association Havre d’Équité.
Financé par la Conférence des ministres de la Jeunesse et des Sports de la Francophonie, le dispositif a décroché en février le premier Prix numérique 2024. Une distinction qui lui ouvre les portes d’un financement structurant et, surtout, d’une crédibilité auprès des décideurs éducatifs nationaux.
La semaine dernière, la secrétaire générale de la Confejes, Louisette Thobi, est venue constater la maturité du prototype. Entre deux bancs de bois, elle a salué « le dynamisme de l’équipe » avant de glisser quelques conseils techniques pour optimiser la circulation de la camionnette sur les routes secondaires.
Comment le concept répond aux défis scolaires
Au Congo, beaucoup d’établissements disposent encore d’un seul microscope pour une classe entière. Les expériences de chimie se résument souvent à des croquis au tableau. EduLab Mobile propose d’inverser la donne en amenant les équipements jusqu’aux élèves, plutôt que l’inverse, réduisant ainsi les inégalités territoriales.
Chaque tournée dure cinq jours par école. Les deux premiers sont consacrés aux bases de la manipulation en biologie, les suivants au codage de microcontrôleurs pour fabriquer des petits robots. Le dernier jour, les classes présentent un projet collectif devant leurs enseignants, créant une émulation rarement observée auparavant.
Selon une enquête pilote menée auprès de quatre lycées de Brazzaville, le taux de bonne compréhension des protocoles scientifiques est passé de 34 % à 71 % après le passage du camion. « La manipulation directe facilite la mémorisation », résume Augustin Malonga, professeur de sciences physiques au lycée Savorgnan-de-Brazza.
La Confejes mise sur l’énergie créative congolaise
Installée depuis soixante ans à Dakar, la Confejes finance chaque année des initiatives tournées vers la jeunesse francophone. Pour 2024, trois projets numériques africains ont été retenus; celui du Congo arrive en tête. « Ce n’est pas un hasard », insiste Louisette Thobi, évoquant « un dossier solide, pragmatique, inclusif ».
Le ministère congolais de la Jeunesse, présent lors de la visite, y voit un levier pour atteindre les objectifs du Plan national de développement 2022-2026, qui place l’économie numérique parmi les accélérateurs de croissance. Herman Mawa parle d’« exemple concret de partenariat Sud-Sud au service de l’éducation ».
Le budget alloué dépasse trente millions de francs CFA, dont une part pour la formation continue de techniciens. « Au-delà du matériel, nous finançons la compétence », précise un cadre de la Confejes. L’enveloppe comprend aussi une étude d’impact afin de documenter les résultats et séduire d’autres bailleurs.
Témoignages d’étudiants en sciences appliquées
Dans la cour de l’université Marien-Ngouabi, Ruth Massamba, étudiante en électronique, affirme avoir « découvert la programmation d’Arduino en trois heures ». Pour elle, le vrai changement est psychologique : « On se sent capable d’inventer ». Ses camarades évoquent déjà des projets de stations météo low-cost pour l’agriculture.
Du côté des lycéens, l’enthousiasme est tout aussi palpable. Marlon Ngakala, 17 ans, raconte avoir observé un échantillon de la rivière Djoué sous le microscope. « J’ai vu des organismes que je n’imaginais pas. Maintenant je pense à devenir hydrologue », confie-t-il, sourire timide mais regard sûr.
Les enseignants, eux, y voient un outil de recyclage professionnel. « Nous devons constamment actualiser nos cours », rappelle Diane Itoua, agrégée de chimie. En suivant les modules du camion, elle a découvert des méthodes de mesure low-tech réutilisables même sans électricité continue, gage de pérennité en milieu rural.
Perspectives de déploiement national
Dès la prochaine rentrée, trois nouvelles camionnettes devraient rejoindre le prototype initial. Les régions ciblées sont Pointe-Noire, la Cuvette et le Niari, choisi pour leur mix d’urbain et de rural. L’objectif fixé par les porteurs du projet est d’atteindre 25 000 apprenants au cours de l’année scolaire.
Pour couvrir le pays, il faudra ensuite mutualiser les efforts avec les collectivités. Le maire de Dolisie envisage déjà d’affecter un technicien communal et de contribuer au carburant. Le modèle financier se veut donc mixte : subventions initiales, contributions locales et, à terme, petites prestations payantes pour les entreprises.
Les partenaires voient également plus loin. Sous réserve de financement, une version solaire du laboratoire pourrait être testée dans la Likouala, département difficile d’accès. Le directeur technique, Jean-Paul Goma, assure que « les panneaux réduiraient de 60 % les coûts de fonctionnement », argument de poids pour d’éventuels bailleurs verts.
Placer le numérique au cœur de l’émergence
Le projet s’inscrit dans un mouvement continental qui veut faire du numérique un moteur d’emplois qualifiés. Le Congo dispose déjà d’une feuille de route e-Gouvernement. En y adossant une dimension scientifique, EduLab Mobile pourrait former la relève capable de maintenir, demain, les futurs data-centers nationaux.
Louisette Thobi l’a rappelé à Brazzaville : « L’enjeu, c’est de prouver qu’une idée sortie d’un garage peut irriguer tout un système éducatif ». Les applaudissements qui ont suivi résonnent encore chez les jeunes porteurs du projet, sûrs désormais que la science peut voyager sur quatre roues.
