Un maillon stratégique pour la sécurité énergétique
Du goudron qui brûle sous le soleil de Mongo Kamba II aux dernières finitions des toitures, le ballet d’ingénieurs et de techniciens autour des nouveaux hangars confère à la zone industrielle un air de renouveau. Le 3 août, le ministre de l’Énergie et de l’Hydraulique, Emile Ouosso, s’est félicité de « l’aboutissement d’une étape essentielle dans la maîtrise de notre chaîne d’approvisionnement en pièces de rechange ». Les entrepôts, financés par un prêt de 1,28 milliard FCFA mobilisé auprès de l’Agence française de développement, doivent accueillir sous peu plusieurs postes transformateurs commandés auprès de constructeurs européens et asiatiques. À l’heure où la demande urbaine croît de 8 % par an, l’enjeu est clair : sécuriser un stock stratégique afin de réduire le temps moyen de remise en service en cas de panne.
Au ministère, l’on rappelle que la province côtière concentre à elle seule près de la moitié des recettes douanières nationales et ne peut se permettre de nouvelles coupures prolongées. « Les investissements pétroliers d’Eni ou TotalEnergies restent conditionnés à la disponibilité d’une énergie fiable », insiste un conseiller technique qui préfère garder l’anonymat. Les hangars de Pointe-Noire complètent ceux de Makabandilou, déjà réceptionnés le 28 juillet à Brazzaville, et s’inscrivent dans une stratégie nationale visant à disposer d’équipements de rechange sur les principaux axes de transport haute tension.
La digitalisation, pierre angulaire de la nouvelle gestion
Si les murs impressionnent par leur capacité – plus de 1 500 m² en cumulant surface couverte et aire annexe –, c’est à l’intérieur que la révolution se prépare. Jean Bruno Danga Adou, directeur général de la Société Énergie électrique du Congo (E²C), promet un « comptage unitaire à l’entrée comme à la sortie, adossé à une plateforme numérique temps réel ». Grâce à des étiquettes RFID et des caméras de surveillance connectées, chaque transformateur, chaque disjoncteur ou cartouche fusible sera géolocalisé et historisé. L’objectif est double : éviter les pertes non techniques et réduire le cycle de décision lorsqu’une intervention s’impose sur le réseau.
Cette approche digitalisée se veut également pédagogique. Les jeunes diplômés des écoles polytechniques de Pointe-Noire et de Brazzaville y trouveront un terrain d’apprentissage grandeur nature, encourageant la montée en compétence locale. Evelyne Tchitchelle, maire de Pointe-Noire, y voit « une vitrine qui prouve que la ville-océan peut concilier industrie lourde et innovation numérique ». Pour les habitants de Loandjili, l’argument est plus immédiat : la sécurité renforcée du site, désormais placé sous vidéosurveillance, réduit les risques de vandalisme responsables d’interruptions récurrentes ces dernières années.
Partenariats internationaux et financement croisé
L’empreinte internationale du projet est assumée. Au-delà du concours de l’AFD, la Banque mondiale a réservé une enveloppe dédiée à l’achat des transformateurs tandis que la major italienne Eni finance, sur ses propres lignes de crédit, la réhabilitation de la dorsale 225 kV Pointe-Noire-Brazzaville. Cette synergie public-privé illustre la diplomatie économique prônée par Brazzaville depuis plusieurs exercices budgétaires. « Il n’est plus question de juxtaposer des projets ; nous avançons sur des corridors complets où la production, le transport et la distribution sont pensés de manière intégrée », souligne Albert Bakala, conseiller au transport de l’énergie au ministère.
Dans un contexte où les marchés africains de l’électricité attirent des investisseurs de plus en plus sélectifs, la crédibilité institutionnelle pèse lourd. Les audits menés par la Banque mondiale insistent sur la mise en place de procédures de maintenance planifiée et d’indicateurs de performance. Selon une note technique consultée par notre rédaction, la durée moyenne d’interruption non planifiée pourrait être divisée par trois si le programme est mené à terme, ramenant le Congo au niveau médian de la sous-région d’ici 2026.
Vers une robustesse électrique nationale
Le gouvernement sait qu’il joue sur un terrain sensible : l’accès à l’électricité conditionne la création d’emplois industriels et la qualité de vie dans les grandes agglomérations. « On ne peut jamais faire de la maintenance des équipements sans pièces de rechange », rappelait fermement Emile Ouosso lors de sa tournée. Derrière la phrase de bon sens se cache une réalité budgétaire : l’achat d’un transformateur de puissance représente plusieurs centaines de milliers de dollars, sans compter les coûts logistiques et douaniers. Disposer d’un stock local réduit les appels d’urgence coûteux à l’étranger et permet d’optimiser les fenêtres de maintenance préventive.
Reste la question du dernier kilomètre, celui qui mène le kilowatt-heure jusqu’au ménage. Les techniciens d’E²C admettent que la distribution basse tension souffre encore de chutes de tension et de raccordements frauduleux. Toutefois, la modernisation du transport haute tension, renforcée par une logistique de pièces performante, offre un socle sur lequel déployer des solutions intelligentes de comptage et de délestage ciblé. L’ambition affichée est d’atteindre un taux d’électrification de 80 % d’ici le milieu de la prochaine décennie, contre 65 % aujourd’hui selon les chiffres officiels.
Dans l’immédiat, les premiers camions chargés de transformateurs devraient franchir les grilles de Mongo Kamba II avant la saison des pluies. « Le pays dispose des ressources, des partenaires et désormais d’une infrastructure logistique adaptée. Il nous appartient de transformer l’essai », conclut Jean Bruno Danga Adou. Dans la moiteur de Pointe-Noire, l’attente est palpable. Les mégawatts, eux, sont déjà en caisse : encore un peu de patience pour qu’ils se transforment en lumière dans les foyers congolais.