Un retournement inéluctable de matrice économique
Chaque baril extrait au large de Djéno rappelle au Congo son rang envié de quatrième producteur subsaharien. Pourtant, dans les salons feutrés de l’Hôtel Pefaco, les 10 et 11 juillet 2025, la Rencontre pour la paix et les droits de l’homme (RPDH) a convoqué un sujet moins confortable : le monde d’après-pétrole. La table-ronde, placée sous l’égide du ministère de l’Environnement, a réuni hauts fonctionnaires, opérateurs privés, chercheurs et représentants communautaires pour questionner la soutenabilité d’un modèle bâti sur l’or noir. L’objectif affiché consistait à faire converger analyses macroéconomiques et témoignages de terrain afin de dessiner, selon les mots de Christian Mounzéo, « une trajectoire juste, durable et partagée ».
Paroles croisées d’acteurs institutionnels
Ouvrant les travaux, Mme Olga Rosine Ossombi Mayéla a rappelé que le pétrole représente encore plus de 80 % des recettes d’exportation nationales. « Il est temps de préparer une alternative robuste et inclusive », a-t-elle insisté, soulignant la volonté gouvernementale d’adosser la croissance future à l’économie verte. Cette prise de parole fait écho aux orientations présentées lors du Plan national de développement 2022-2026, qui prévoit une montée en puissance des énergies renouvelables pour atteindre 30 % du mix électrique d’ici 2030. Les investisseurs énergétiques présents ont salué la clarté du signal tout en appelant à une sécurisation accrue du cadre réglementaire.
Le défi technologique et social de la décarbonation
Au fil des débats, deux lignes de force se sont dessinées. La première est d’ordre technologique : convertir l’abondant potentiel hydroélectrique du bassin du Congo et la ressource solaire du Niari en capacités industrielles compétitives. La seconde, intimement liée, concerne l’articulation sociale de la transition. Comme l’a fait valoir la sociologue Clarisse Ngakala, « la sortie progressive du pétrole ne pourra réussir que si elle s’accompagne d’emplois qualifiés pour les jeunes diplômés et d’un dispositif de reconversion pour les travailleurs offshore ». Point de vue partagé par le syndicaliste Guy-Roger Mabiala, qui plaide pour des programmes de formation professionnelle cofinancés par les majors et l’État.
Cap sur l’innovation portée par la jeunesse
Dans les ateliers consacrés à l’entrepreneuriat, plusieurs start-ups locales ont présenté des prototypes de cuiseurs solaires et de mini-réseaux intelligents adaptés aux zones rurales. Pour Grace Ikounga, ingénieure de 28 ans, « la transition énergétique est une chance générationnelle : elle libère la créativité et pousse à repenser notre rapport aux ressources ». La Banque africaine de développement estime que le marché des technologies propres pourrait générer 10 000 emplois directs dans le pays à moyen terme, un horizon qui alimente l’optimisme des incubateurs de la capitale. Le défi reste néanmoins de faciliter l’accès au financement, domaine où les banques locales demeurent prudentes.
Esquisse d’une feuille de route inclusive et réaliste
Au terme de quarante-huit heures d’échanges, les participants ont entériné une pré-feuille de route qui sera soumise au gouvernement et aux partenaires au développement. Parmi les mesures phares figurent la création d’un observatoire national de la transition, la mise en place d’incitations fiscales pour les investissements verts et l’intégration systématique des populations autochtones aux décisions foncières. Christian Mounzéo insiste : « Nous ne plaidons pas pour un abandon brutal du pétrole, mais pour une montée en puissance graduelle d’alternatives solides, afin que nul ne soit laissé au bord du chemin ».
Ce consensus, certes provisoire, atteste d’une maturation du débat public sur la diversification. En articulant exigences climatiques, justice sociale et impératif de croissance, la table-ronde de Brazzaville a ouvert un espace de dialogue salué par les observateurs régionaux. Reste désormais à transformer les intentions en politiques concrètes, un chantier que la jeunesse congolaise, riche de compétences et d’audace, se dit prête à investir.