Addis-Abeba lève le verrou réglementaire
Par un sobre communiqué rendu public le 25 juin, la Banque nationale d’Éthiopie a placé le curseur de l’histoire sur « vert ». Les banques et investisseurs étrangers peuvent désormais déposer un dossier de licence auprès du superviseur. Le texte exécute la loi adoptée par le Parlement en décembre 2024, laquelle autorise la création de filiales, de succursales ou la prise de participations dans les établissements locaux. Mamo Mihretu, gouverneur de la NBE, parle d’un « tournant systémique pour l’économie éthiopienne » (Communiqué officiel, 25 juin 2025).
Un marché captif de 120 millions de consommateurs
Avec une population proche de celle du Nigeria, un taux de bancarisation encore inférieur à 35 % et un produit intérieur brut en expansion de 6 % par an, l’Éthiopie exhibe des fondamentaux que les analystes de la City jugent « irrésistibles » (Reuters, 26 juin 2025). Les milléniaux urbains adoptent massivement les portefeuilles numériques, stimulés par l’ouverture télécoms conclue en 2022. Safaricom, pionnier kényan, revendique déjà dix millions d’abonnés à son service M-Pesa. Dans ce sillage, les banques internationales flairent une synergie entre paiements mobiles, micro-crédit et financement du commerce transfrontalier sur la Corne de l’Afrique.
Un plafond de 40 % pour éviter la dépossession
Le législateur éthiopien a toutefois maintenu des garde-fous. La part totale du capital d’une banque locale détenue par des actionnaires non résidents est limitée à 40 %. En cas de création de filiale, l’autorité exige un capital minimum de 150 millions de dollars, soit quatre fois le plancher applicable aux acteurs domestiques. Pour l’économiste Tesfaye Hailu, ces clauses « entendent concilier l’afflux de devises et la préservation d’un noyau décisionnel national » (Addis Fortune, 28 juin 2025). Les groupes étrangers doivent en outre prouver une notation de crédit internationale de catégorie investment grade et démontrer un historique de conformité anti-blanchiment irréprochable.
La Banque commerciale d’Éthiopie face à la concurrence
Acteur quasi hégémonique depuis soixante-dix ans, la Banque commerciale d’Éthiopie concentre plus de la moitié des dépôts du pays et gère le financement du secteur public. Selon un rapport interne consulté par la presse locale, l’établissement envisage une modernisation accélérée de ses infrastructures digitales et l’émission prochaine d’obligations vertes pour fidéliser sa clientèle. « La compétition nous oblige à sortir de notre zone de confort, c’est sain pour l’écosystème », reconnaît Berhan Gebrehiwot, directeur adjoint (The Reporter, 29 juin 2025).
Risques politiques et impératif de stabilité
Les investisseurs ne se laissent pas griser pour autant. La persistance de tensions communautaires dans les régions du Tigré et de l’Amhara a valu à l’Éthiopie d’être classée dans la catégorie « pays sous vigilance » par plusieurs agences de notation. Le schéma de convertibilité du birr demeure strictement contrôlé ; rapatrier les dividendes exigera une autorisation de la banque centrale. De plus, la réforme fiscale, promise pour harmoniser TVA, droits d’accise et impôt sur les sociétés, n’est pas encore actée. Autant d’éléments qui plaident pour une entrée progressive, via des joint-ventures ou des bureaux de représentation.
Leçons pour Brazzaville et Kinshasa
À plus de trois mille kilomètres au sud-ouest, les capitales d’Afrique centrale observent ce laboratoire grandeur nature. En République du Congo, où la densité bancaire plafonne à six agences pour cent mille habitants, l’expérience éthiopienne alimente les réflexions sur la nécessité de libéraliser davantage le secteur financier tout en préservant la souveraineté monétaire de la zone CFA. « L’ouverture n’est pas synonyme d’abandon, c’est un catalyseur de transfert de compétences », note Josué Okemba, consultant auprès de la BEAC, invité récemment au Forum de Pointe-Noire sur la bancarisation.
Une équation ouverte entre profits et développement
Le curseur éthiopien est désormais posé : attirer des dollars sans perdre l’âme nationale. Les prochains mois diront si ce pari équilibriste accouchera d’un écosystème financier inclusif ou d’un simple terrain de chasse pour conglomérats fortunés. Ce qui est sûr, c’est que l’historique fermeture du marché de la Corne a cédé. À la génération d’entrepreneurs africains de s’emparer de cette brèche pour transformer l’or prometteur des chiffres en prospérité concrète, sous peine de laisser s’évanouir le mirage des premières annonces.