Fara Fara Gang, symbole musical à double racine
Au premier abord, le titre de l’EP pourrait laisser croire à un simple clin d’œil folklorique. Le terme « Fara Fara », emprunté aux joutes instrumentales qui animent les nuits brazzavilloises et kinoises, renvoie pourtant à un héritage beaucoup plus profond. En choisissant cette appellation, Tiakola, vingt-six ans, et Genezio, tout juste vingt-et-un, revendiquent la continuité d’un art de la confrontation élégante : celui où la rivalité, loin d’être un motif de discorde, devient moteur de créativité et d’émulation collective. L’EP s’inscrit ainsi dans la progressive re-centralisation de la musique congolaise au sein des répertoires urbains européens, mouvement que la critique internationale observe depuis la percée de la rumba au patrimoine immatériel de l’UNESCO en 2021.
Sur les sept titres, l’auditeur croise des nappes de guitare kwasa-kwasa, des claps afrobeats et une ligne de basses trap qui rappellent la scène d’Atlanta. Rien n’est laissé au hasard : chaque morceau s’ouvre comme un sas entre deux continents, liant la mémoire des sapeurs à la culture sneaker. L’hommage au Paris-Saint-Germain, équipe fétiche des deux rappeurs, sert d’ailleurs de passerelle symbolique entre Paris et Brazzaville, deux capitales où l’identité urbaine se décline sur un même spectre chromatique, du bleu roi au rouge passion.
La complémentarité Tiakola-Genezio, secret d’atelier
Le succès commercial de « Pona Nini » en 2024 avait déjà prouvé la solidité d’une équation où la voix satinée de Tiakola se posait sur les phases plus rugueuses de Genezio. Le nouvel opus affine cet équilibre. Sur « Code 187 », Jacky Brown, vétéran des Neg’ Marrons, salue « la maturité scénique d’une génération qui n’a pas peur de se frotter aux anciens ». La phrase, lâchée en studio à Vitry-sur-Seine selon le producteur Bersa, résonne comme un passage de relais symbolique.
La construction de chaque piste révèle, en filigrane, le dialogue permanent entre les deux artistes. Genezio confiait récemment à la presse qu’il voyait en Tiakola « un grand frère à la mentalité très foot : posé dans le vestiaire, percutant sur le terrain ». Tiakola, lui, décrit son cadet comme « une énergie brute qui oblige à rester agile ». Cette dynamique se traduit par une alternance subtile des timbres : parties rappées quasi métronomiques, refrains entonnés dans un falsetto empreint de rumba, passerelles mélodiques où la langue lingala se glisse dans le français de banlieue sans friction.
Entre mémoire des quartiers et ascension sociale
Dans « Catimini », les deux MC revisitent avec pudeur le parcours des familles issues des diasporas africaines, prises entre la promesse républicaine et les réalités du square. « On veut briller sans fracas, maman, regarde la vitrine », scande Tiakola, évoquant autant la recherche de respectabilité que la tentation consumériste. Loin de se complaire dans le misérabilisme, l’EP suggère une trajectoire ascendante fondée sur l’effort collectif, la discipline et l’auto-entrepreneuriat, thèmes récurrents dans le discours d’une jeunesse congolaise en quête de modèles économiques durables.
Cette vision s’incarne aussi dans le choix de distributeurs digitaux indépendants, permettant aux artistes de conserver la majeure partie de leurs droits. Dans les ateliers de production de La Courneuve, l’équipe technique explique que « chaque stream est un vote de confiance ». L’argument trouve un écho particulier auprès d’un public de 20-35 ans pour qui la notion de propriété intellectuelle est désormais centrale.
Réception critique et résonance auprès de la jeunesse congolaise
À Brazzaville comme à Pointe-Noire, les premières diffusions sur les ondes locales ont généré un engouement mesurable : selon la régie de la radio urbaine DRTV, le titre « Mbifé » a intégré le top 5 des sollicitations auditeurs durant la semaine de sortie. Les influenceurs culturels, à l’instar de la chroniqueuse Sonia Mbemba, notent « une bouffée d’optimisme musical qui rompt avec la sinistrose post-pandémie ».
La presse spécialisée en France salue la cohérence narrative du projet. Les Inrockuptibles évoquent « une proposition qui réussit le pari, rare, de marier exigence mélodique et storytelling social sans sombrer dans la démonstration technique ». De leur côté, les plateformes de streaming enregistrent un pic de création de playlists collaboratives, signe d’une appropriation communautaire que recherche tout artiste émergent.
Dans un pays où plus de 60 % de la population a moins de 25 ans, ces signaux suggèrent qu’un contenu artistique conçu avec soin et respect de l’identité culturelle peut fédérer bien au-delà des frontières. Les organisateurs du festival Fespam laissent entendre que la programmation 2025 pourrait réserver « une carte blanche Fara Fara Gang », ce qui offrirait la possibilité d’un retour sur scène dans la capitale congolaise.
Perspectives d’un projet appelé à s’élargir
La stratégie de Tiakola et Genezio ne se limite pas à la conquête des classements. Les deux artistes, soutenus par un management franco-congolais, planchent déjà sur un documentaire court destiné aux réseaux sociaux, retraçant l’enregistrement de l’EP entre Ivry-sur-Seine et Abala, village paternel de Genezio. L’objectif, affirme leur chargé de communication, est de « rendre palpable le fil invisible qui relie la diaspora à la terre-mère ».
Autre ambition, l’expérimentation sonore. Des sessions en studio à Londres avec le producteur Jae5, figure du grime et de l’afroswing, sont évoquées pour la fin de l’année. Cette ouverture annonce la poursuite d’un métissage musical susceptible d’élever encore davantage la scène rap francophone sur l’échiquier mondial.
En attendant, Fara Fara Gang constitue déjà un jalon important. Il rappelle qu’au-delà des chiffres et des tendances, l’essence même du rap demeure l’art de raconter le monde tel qu’il est perçu par celles et ceux qui le vivent au quotidien, avec ses gloires, ses doutes et ses horizons toujours en mouvement.
