Terres africaines entre potentiel agricole et dépendance importée
Au tournant du XVIIe siècle, le Surintendant des finances de Henri IV rappelait que « labourage et pâturage » constituaient les deux mamelles de la prospérité française. Quatre siècles plus tard, l’écho de cette maxime résonne étrangement sur un continent africain qui concentre près de deux tiers des terres arables non cultivées de la planète. Cet atout, souvent qualifié d’« or brun », contraste avec une dépendance alimentaire chronique : selon la Banque africaine de développement, la facture d’importation de denrées dépasse chaque année 50 milliards de dollars, grevant les balances commerciales et exposant les États aux aléas géopolitiques.
Le Congo-Brazzaville n’échappe pas à cette équation. Dans les marchés de Talangaï ou de Pointe-Noire, les céréales raffinées venues d’Asie côtoient les produits transformés de multinationales agro-alimentaires. L’empreinte carbone de ces chaînes logistiques complexifie encore la lutte contre le réchauffement, alors même que le bassin du Congo, deuxième poumon vert mondial, joue un rôle clé dans la séquestration du CO₂. C’est dans ce contexte paradoxal que la question de l’adaptation climatique se cristallise, avec en première ligne une population à 60 % âgée de moins de 35 ans et majoritairement féminine.
La féminisation des enjeux climatiques et agricoles
Les rapports successifs du Groupe d’experts intergouvernementaux sur l’évolution du climat établissent que les chocs thermiques, les sécheresses ou les inondations frappent d’abord les communautés les moins dotées en capitaux physiques et sociaux. Parce qu’elles assurent l’essentiel de la production vivrière, de la gestion de l’eau et de la santé familiale, les Africaines subissent un stress climatique disproportionné. Elles disposent pourtant de ressources endogènes en matière d’agro-écologie, de sélection des semences ou de conservation post-récolte, que la recherche scientifique commence seulement à documenter.
L’accès au foncier reste toutefois un verrou majeur : moins de 15 % des terres cultivées sont enregistrées au nom de femmes. Leur insertion dans les circuits de financement vert demeure embryonnaire, malgré l’ouverture de guichets spécifiques par le Fonds vert pour le climat. L’horizon d’une agriculture résiliente passe inévitablement par la reconnaissance de cette expertise féminine informelle.
Un arsenal normatif qui promeut la solidarité environnementale
La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, adoptée en 1981, inscrit la solidarité intergénérationnelle et la protection de l’environnement au même rang que les libertés individuelles. Pour le juriste Alain Supiot, elle constitue « l’une des tentatives les plus abouties d’appropriation des droits humains par un continent ». Contrairement à la Déclaration universelle de 1948, le texte de Nairobi lie explicitement l’individu à sa communauté et arrime la notion de développement à celle de durabilité. Cet ancrage juridique facilite aujourd’hui l’intégration de critères de genre dans les programmes nationaux d’adaptation, à l’image du Plan Climat du Congo, qui réserve des lignes budgétaires à l’entrepreneuriat féminin rural.
La montée d’une jurisprudence climatique en Afrique centrale vient conforter ce cadre. De récentes décisions des cours constitutionnelles gabonaises et béninoises ont consacré le droit à un environnement sain comme composante du bien-être collectif, offrant ainsi un levier supplémentaire aux organisations féminines pour exiger l’accès équitable aux ressources.
Femmes Adapt’Climat, un laboratoire d’initiatives panafricaines
C’est dans cette dynamique que s’ancre le programme Femmes Adapt’Climat, porté par l’ONG Migrations & Climat International. « Notre ambition est de montrer qu’aucune stratégie d’adaptation ne peut réussir sans la moitié féminine de l’Afrique », affirme sa présidente Tania-Bénédicte M’Baka. Lancée à Paris, la tournée panafricaine établira son QG le 24 juillet à Dakar, avant de rejoindre Abidjan puis Brazzaville. Plateforme d’expertise, le programme réunit agronomes, climatologues, économistes et acteurs communautaires afin de mutualiser les données, partager les bonnes pratiques et faciliter l’accès aux fonds d’investissement à impact.
Les sessions-ateliers privilégient les retours d’expérience. À Kinkala, dans le Pool, des maraîchères testent des variétés de manioc résistantes aux fortes amplitudes thermiques. Près de Ouesso, les membres d’une coopérative féminine ont mis en place un système d’irrigation goutte-à-goutte alimenté par des pompes solaires artisanales. Ces innovations frugales, souvent ignorées des grands think tanks, acquièrent une visibilité régionale grâce au réseau. « Le vrai défi n’est pas l’idée, mais le passage à l’échelle », rappelle Mme M’Baka, qui insiste sur la nécessité de partenariats public-privé pour stabiliser les chaînes de valeur.
Francophonie verte et coopération Sud-Sud, perspectives pour la jeunesse
L’appel à une francophonie « libre et solidaire », formulé par le regretté Amadou Hampâté Bâ, trouve aujourd’hui un prolongement écologique. Les pays de l’espace francophone rassemblent plus de 300 millions d’habitants, dont la moitié en Afrique subsaharienne. Ils disposent d’une densité institutionnelle – Organisation internationale de la Francophonie, Agence universitaire, banques de développement – capable d’orienter les flux financiers vers des projets bas-carbone. Dans cette architecture, le Congo-Brazzaville, fort de son patrimoine forestier, se positionne comme un hub naturel pour les certificats de réduction d’émissions et les formations à l’agroforesterie.
Pour la tranche d’âge 20-35 ans, la valorisation des métiers verts ouvre de nouveaux horizons professionnels. Start-ups congolaises de cartographie par drone, plateformes numériques de commercialisation des produits bio, cabinets d’ingénierie climatique : les niches se multiplient. La réussite de Femmes Adapt’Climat démontre que la chaîne de valeur climat n’est plus l’apanage des seules ONG internationales. Elle appartient désormais aux innovateurs locaux, pour peu que les politiques publiques maintiennent un environnement d’affaires stable et prévisible.
En articulant solidarité juridique, leadership féminin et coopération multilatérale, le continent se dote d’un triptyque stratégique dont la jeunesse congolaise peut être le fer de lance. La transition écologique y gagne en légitimité, la souveraineté alimentaire en crédibilité et l’autonomisation des femmes en visibilité. Voix polyphoniques mais agissant de concert, les Africaines de Femmes Adapt’Climat rappellent qu’adapter le climat, c’est d’abord adapter nos regards.