Brazzaville, creuset d’une stratégie panarabe d’audience
Pendant trois jours rythmés par les débats et les mélodies, le Centre international de conférence de Kintélé a résonné d’une effervescence studieuse. Autour de la ministre de l’Industrie culturelle, touristique, artistique et des loisirs, Marie-France Lydie Hélène Pongault, chercheurs, producteurs, juristes et artistes venus d’une vingtaine de pays africains ont croisé leurs regards sur le futur de la création musicale continentale. L’évènement, organisé dans le cadre d’un Fespam au format volontairement resserré, n’en a pas moins montré l’ambition d’un pays qui se rêve pôle régional des industries culturelles. « Parler d’avenir sans trahir la mémoire », a résumé la ministre, réaffirmant la volonté de l’État congolais de faire du festival un laboratoire d’idées autant qu’une vitrine festive.
Un patrimoine sonore face au défi du streaming
La révolution numérique, portée par la déferlante des plateformes de streaming, bouleverse jusqu’à la texture même de la production musicale. Au cours des échanges, plusieurs intervenants ont rappelé qu’en 2022 le continent ne concentrait encore que 2 % du marché mondial du streaming, alors que plus de 70 % de sa population a moins de trente ans. L’enjeu est donc double : garantir une rémunération équitable aux créateurs et éviter que la mémoire sonore d’Afrique ne se dissipe dans les méandres d’algorithmes conçus ailleurs. « Le danger serait de laisser notre patrimoine s’héberger hors de nos frontières, donc hors de notre souveraineté », a averti le musicologue camerounais Jacques Bélinga, rappelant l’érosion de revenus subie par les artistes non affiliés à des sociétés de gestion collective solides.
Moderniser les cadres juridiques pour muscler la création
Sous le vernis académique, les discussions ont pointé un besoin urgent : harmoniser et moderniser les législations relatives au droit d’auteur. La ministre Pongault a promis que « les actes du Symposium, attendus dans les prochaines semaines, nourriront un chantier interministériel visant à actualiser les dispositifs nationaux en phase avec la Convention de l’OMPI et l’Agenda 2063 de l’Union africaine ». Plusieurs participants ont insisté sur la nécessité de créer des tribunaux spécialisés dans la propriété intellectuelle, capables de trancher rapidement les litiges liés aux usages numériques non autorisés, un point jugé essentiel pour attirer les investissements internationaux dans les labels locaux.
Jeunes talents : entre ruée vers l’or digital et protection sociale
Pour la génération émergente, le numérique n’est pas qu’un outil, il est un espace de vie. Les beatmakers de Pointe-Noire, les chanteuses d’Afro-soul de Kinshasa ou les rappeurs de Libreville partagent le même constat : la visibilité mondiale n’a jamais été aussi accessible, mais la précarité demeure. À Brazzaville, plusieurs collectifs de jeunes ont plaidé pour la création d’un fonds continental de soutien aux musiciens indépendants, abondé par un prélèvement sur les abonnements aux plateformes opérant en Afrique. Le producteur béninois Marius Gandonou a évoqué un « capital-risque culturel », susceptible de financer studio, marketing et tournée pour des artistes ne disposant que d’un téléphone et d’une connexion 4G.
Institutions culturelles : pivots d’un développement durable
Au-delà des artistes, c’est tout un écosystème qui cherche son modèle économique. Le Conservatoire de musique et d’arts dramatiques de Brazzaville, le label public Syllart ou le prochain Musée national de la musique, actuellement en chantier, ont été cités comme leviers indispensables pour archiver, numériser et diffuser les œuvres. Ces institutions, soutenues par des partenariats publics-privés, doivent aussi former des métiers encore peu connus, de l’ingénieur du son immersif au data-analyste musical. « Un pays qui protège ses artistes protège son image et sa jeunesse », a rappelé la sociologue congolaise Aimée Ngallé, soulignant l’effet d’entraînement d’un secteur culturel bien structuré sur le tourisme, l’urbanisme ou même la cohésion sociale.
Souveraineté culturelle et rayonnement panafricain
Au fil des prises de parole, la notion de souveraineté culturelle est apparue comme le fil rouge d’une stratégie continentale. Promouvoir les identités musicales régionales tout en favorisant une circulation fluide des œuvres africaines sur l’ensemble du continent constitue un défi enthousiasmant. L’Union africaine, représentée par son commissaire à la culture, a plaidé pour un passeport culturel numérique permettant aux artistes de voyager sans entraves bureaucratiques. Les délégations ont également salué le rôle moteur du Congo-Brazzaville qui, depuis la première édition du Fespam en 1996, n’a cessé de défendre l’idée que l’unité africaine peut se danser et se chanter avant de se négocier.
Vers un crescendo d’initiatives concrètes
En clôturant les travaux, Marie-France Lydie Hélène Pongault a martelé la volonté de « transformer les notes en actes » : lancement d’un incubateur d’entreprises culturelles à Brazzaville, révision du code congolais de la propriété littéraire et artistique, élaboration d’indicateurs statistiques sur la contribution du secteur musical au PIB. Les participants ont ovationné la promesse d’un rapport de suivi annuel, gage de transparence et de continuité. Reste que, pour de nombreux observateurs, le succès se jouera dans la capacité à fédérer partenaires publics, privés et société civile autour d’une vision partagée d’un patrimoine musical considéré, enfin, comme une ressource stratégique et non plus comme un simple divertissement.
Harmonie finale, perspectives ouvertes
Le rideau est tombé sur une édition compacte mais dense, laissant le public comme les professionnels avec l’impression qu’un tournant décisif se profile. Tandis que les projecteurs s’éteignaient sur la scène de Kintélé, les conversations continuaient dans les couloirs, preuve que la musique africaine, au-delà de l’émotion qu’elle suscite, possède désormais des enjeux économiques et politiques majeurs. Brazzaville, en accueillant ce débat, confirme son ambition de devenir l’un des pôles d’expertise où se composera la bande-son du futur numérique du continent.