Brazzaville au cœur du plaidoyer culturel
Il est quinze heures ce 21 juillet, dans la salle feutrée du Musée national du Congo, lorsque la représentante résidente de l’Unesco, Mme Fatoumata Barry Marega, prend la parole. Sa voix, empreinte de conviction, rappelle la ligne directrice de l’organisme onusien : « Accompagner les États dans l’élaboration de politiques culturelles adaptées, inclusives et appuyées sur des statistiques fiables ». À l’ombre des palmiers de Brazzaville, cette déclaration résonne comme un appel à la structuration durable du secteur créatif africain.
Le contexte est propice. Le Festival panafricain de musique (Fespam) attire cette année chercheurs, responsables institutionnels, producteurs et jeunes créateurs d’une trentaine de pays. Pour la capitale congolaise, qui héberge la manifestation depuis 1996, l’enjeu dépasse la simple célébration artistique : il s’agit d’asseoir le rôle de la culture comme vecteur de cohésion sociale et de prospérité économique.
Vers une architecture normative rénovée
En droite ligne de la Convention de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, l’Unesco insiste sur la nécessité d’actualiser les cadres réglementaires nationaux. Dans un échange en marge du Symposium, Mme Barry Marega observe que « les statistiques culturelles restent trop souvent lacunaires », compliquant l’allocation budgétaire et la mesure d’impact. La collecte de données désagrégées, le recensement des opérateurs et la création d’indicateurs adaptés figurent désormais parmi les priorités.
À Brazzaville, le ministère de l’Industrie culturelle et touristique a déjà amorcé ce virage en lançant un portail d’enregistrement des acteurs musicaux. Selon un rapport préliminaire consulté sur place, plus de 2 500 artistes et 320 structures de production se sont enregistrés au cours des six premiers mois, offrant un échantillon inédit pour la planification publique.
Musique et croissance inclusive
Le commissaire général du Fespam, M. Hugues Ondaye, insiste sur le potentiel macroéconomique du secteur. « La musique, disait-il lors de l’ouverture, est un moteur de transformation capable de créer des emplois durables dans la jeunesse ». Les chiffres corroborent cette lecture : en Afrique subsaharienne, les industries culturelles et créatives représentent près de 3 % du PIB régional, selon l’Union africaine, et emploient déjà plus de cinq millions de personnes.
Pour le Congo, où la moitié de la population a moins de trente ans, l’enjeu est clair : diversifier l’assiette économique et offrir des perspectives locales aux diplômés. La Banque des États de l’Afrique centrale estime que chaque milliard de francs CFA investi dans la filière musicale pourrait générer jusqu’à 1,4 milliard de retombées directes et indirectes sur cinq ans. Le modèle attire ainsi l’attention des partenaires techniques et financiers, convaincus que la création artistique peut irriguer l’agriculture, le tourisme et le numérique.
Transition numérique : défis et opportunités
Sous le thème « Musique et enjeux économiques en Afrique à l’ère du numérique », les experts réunis à Brazzaville ont analysé l’essor rapide des plateformes de streaming et l’apparition de nouveaux intermédiaires technologiques. La monétisation reste cependant inégale ; une étude présentée par l’économiste culturel sénégalais Dr Abdoulaye Sow révèle que moins de 15 % des artistes africains perçoivent la totalité de leurs droits en ligne.
Le numérique n’en est pas moins perçu comme un levier incontournable. Le start-up studio congolais MokoLab teste actuellement un algorithme d’intelligence artificielle capable de tracer les diffusions radiophoniques et d’automatiser les redevances. Pour Mme Clarisse Ngatsé, ingénieure en data science invitée au Symposium, « ces outils peuvent réduire l’asymétrie d’information entre créateurs et diffuseurs, tout en soutenant les sociétés de gestion collective ». L’Unesco promet, pour sa part, un appui méthodologique afin d’harmoniser les bases de données régionales et de garantir l’interopérabilité.
Voix et regards croisés des acteurs
Parmi les artistes, l’auteur-compositeur Josué Makosso rappelle que la question n’est pas uniquement financière : « Il nous faut des espaces de résidence, des studios équipés localement pour limiter l’exil créatif ». Les promoteurs culturels, eux, saluent la volonté politique affichée. Mme Nadège Mavoungou, directrice d’un label indépendant, estime que « l’adhésion de l’État aux instruments internationaux comme la Convention de Berne est un signal positif pour les investisseurs ».
De leur côté, les partenaires régionaux voient dans le Fespam un laboratoire d’intégration. Un représentant de l’Union africaine a évoqué la future Zone de libre-échange continentale comme tremplin pour les tournées intra-africaines, notamment grâce à la simplification des visas culturels. Ces convergences témoignent d’un consensus rare dans la sphère culturelle, où la coopération Sud-Sud apparaît comme un moteur de résilience.
Une partition collective à prolonger
Au terme de quatre jours de débats, un premier draft de recommandations a été soumis aux autorités congolaises : renforcer la transparence des chaînes de valeur, moderniser la législation sur le droit d’auteur, investir dans l’éducation artistique et stimuler l’entrepreneuriat musical des jeunes. Ces actions, jugées réalistes, s’inscrivent dans la Feuille de route 2030 du gouvernement, qui fait de l’économie créative l’un des piliers de la diversification.
À Brazzaville, l’atmosphère reste empreinte d’un optimisme réflechi. Les tambours ont cessé de retentir, mais l’écho du Symposium persiste. Pour beaucoup de participants, la véritable musique commence à présent : celle des réformes, des budgets et des partenariats. En accord mineur ou majeur, l’Afrique entend bien écrire sa propre partition numérique, avec l’Unesco comme chef d’orchestre attentif et les institutions congolaises comme section rythmique solide.