Brazzaville se pare des couleurs du continent
La douzième édition du Festival panafricain de musique a démarré dans le grand auditorium du Palais des congrès que ses projecteurs, ses drapeaux et ses rythmes ont transformé en mosaïque panafricaine. Dans une atmosphère que d’aucuns qualifieraient de quasi liturgique, le chef de l’État, Denis Sassou Nguesso, a prononcé la formule rituelle qui donne le coup d’envoi officiel. Les ovations nourries qui ont suivi traduisaient autant l’attente du public que la fierté d’accueillir, une nouvelle fois, une manifestation devenue repère symbolique du calendrier culturel continental. Si la liesse populaire sautait aux yeux, l’organisation millimétrée révélait un souci d’orfèvre pour faire coexister protocole républicain, ferveur artistique et impératifs sanitaires.
La dimension économique d’un festival repensé
Le thème « Musique et enjeux économiques à l’ère du numérique » annonce la couleur : derrière les décibels, l’heure est au chiffre. La ministre de l’Industrie culturelle, touristique, artistique et des Loisirs, Marie-France Lydie Hélène Pongault, a rappelé que le secteur musical africain pourrait doubler ses revenus dans les cinq prochaines années si la monétisation en ligne parvenait à épouser la réalité des marchés locaux. À ses yeux, le Fespam sert d’incubateur grandeur nature. Stands de start-ups, ateliers sur la gestion des droits voisins, master-classes animées par des plateformes de streaming : autant de dispositifs pensés pour convertir la créativité en valeur ajoutée. Ce glissement d’un festival vitrine vers un laboratoire économique apparaît comme la réponse congolaise aux bouleversements de la chaîne de valeur musicale mondiale.
Jeunesse et innovation au cœur de la programmation
Le commissaire général Hugues Gervais Ondaye a insisté sur la nécessité de conserver l’ADN festif de la manifestation tout en donnant à la relève africaine un espace d’expression. Mariusca La Slameuse, porte-étendard d’une génération lettrée qui croise poésie, rap et récit social, a ouvert la scène avec un texte vibrant sur la résilience urbaine. Quelques instants plus tard, le chorégraphe franco-congolais Gervais Tomadiatunga et sa compagnie « Danseincolor » ont démontré qu’une chorégraphie peut être lue comme un code binaire destiné à la mémoire collective. Pour de nombreux jeunes spectateurs, cette hybridation entre tradition et technologie fait écho à leur propre trajectoire, souvent partagée entre l’ancestral et l’hyper-connecté.
Le soutien institutionnel, pilier discret
La présence du Premier ministre Anatole Collinet Makosso, de membres du gouvernement et d’institutions internationales témoigne d’un accompagnement politique assumé, mais nuancé. Dans un message relayé par la représentante de l’Unesco, Audrey Azoulay a salué « la constance des autorités congolaises dans la promotion de la diversité culturelle ». Cette reconnaissance, certes symbolique, consolide la crédibilité d’un festival qui a dû composer, comme l’a rappelé son commissaire, avec un format réduit en raison de la conjoncture économique. Le dispositif sécuritaire, discret mais efficace, a été salué par plusieurs délégations, conscients que la sérénité logistique conditionne la venue d’artistes de renom et l’attractivité touristique.
Patrimoine et futur : dialogue des scènes
En parallèle des concerts, une exposition d’instruments traditionnels éclaire le lien organique entre le bois sculpté d’un tam-tam et les puces électroniques d’une table de mixage. Les visiteurs y découvrent la lutherie comme archive vivante, tandis que les conférences du symposium interrogent la place d’une intelligence artificielle capable de générer un makossa synthétique. Les musicologues présents évoquent l’enjeu de la sauvegarde des répertoires ruraux face à la standardisation globale. Au fil des échanges, l’idée se dessine que la numérisation ne constitue pas un reniement, mais peut devenir l’ultime rempart pour pérenniser des grooves menacés d’oubli.
Un format condensé, une ambition intacte
Répartie sur trois sites – Palais des congrès, Mayanga, Kintélé – la programmation adopte cette année une temporalité plus ramassée. Les experts y voient une stratégie de concentration qui réduit les coûts, densifie la fréquentation et facilite la diffusion en streaming haute définition. Les organisateurs misent sur le relais des réseaux sociaux pour amplifier la portée de prestations parfois intimistes. Selon de premières estimations, la couverture numérique devrait toucher plus d’un million de visiteurs virtuels, soit un multiple historique du taux d’audience physique de l’événement.
Entre diplomatie culturelle et soft power
Pour Brazzaville, la tenue régulière du Fespam se présente comme un instrument diplomatique à part entière. Les analystes rappellent que la capitale congolaise endosse un rôle d’intermédiaire entre Afrique centrale et occidentale, à l’image de ses brassages sonores. En offrant une tribune aux créateurs de la diaspora, les autorités projettent une image d’ouverture qui consolide la place du pays dans les négociations multilatérales liées aux industries culturelles créatives. D’une certaine manière, la harpe du griot devient microphone géopolitique.
Perspectives pour l’écosystème musical congolais
Au-delà de la fête, le Fespam ambitionne de stimuler un tissu professionnel encore fragmenté. Les discussions autour d’un futur fonds de garantie pour la production musicale locale, évoqué par des représentants du secteur bancaire, traduisent une volonté de passer du slogan à la feuille de route. « Nous disposons d’un vivier d’artistes comparables à nos réserves pétrolières ; il nous reste à raffiner la matière première », confiait un producteur de Pointe-Noire. Les jours qui suivront la clôture, tout l’enjeu sera de convertir l’effervescence scénique en contrats, en emplois et en devises.
