Un rendez-vous littéraire devenu incontournable
Du 9 au 11 octobre 2025, l’amphithéâtre Houdegbe de l’Université d’Abomey-Calavi a vibré au rythme du Filab, Festival international du livre et des arts assimilés du Bénin. Pour cette troisième édition, quinze nations africaines ont répondu présentes, confirmant le rayonnement grandissant de l’événement.
Le thème « L’industrie culturelle à l’ère du numérique » a fédéré auteurs, éditeurs, graphistes et technologues. Table-rondes hybrides, projections d’œuvres interactives et performances slam diffusées en direct sur les réseaux ont illustré les nouvelles façons de créer et de partager la culture.
Parmi les délégations, le Congo-Brazzaville a brillé grâce à la présence de trois écrivains, dont le Dr Thierry Paul Ifoundza. Installé en France mais très actif dans la diaspora, il a apporté une perspective medicalo-littéraire singulière aux échanges.
Le regard congolais de Thierry Paul Ifoundza
Interrogé à la sortie d’un panel, le médecin-écrivain évoque d’abord l’affluence inédite : « Voir autant de pays réunis confirme l’énergie panafricaine autour du livre. Cela change tout, on dialogue sans filtre. » Son sourire reflète la satisfaction d’un habitué du festival.
Ifoundza souligne ensuite l’impact du numérique sur la chaîne du livre. Pour lui, réseaux sociaux et impression à la demande abaissent les barrières, mais le défi est de conserver la qualité éditoriale. « Le téléphone portable devient une bibliothèque de poche, à nous de maintenir l’exigence littéraire », insiste-t-il.
Enfin, l’écrivain se réjouit du climat bienveillant régnant sur les stands. Les séances de dédicaces ont attiré un public jeune, parfois plus familier de TikTok que des pages papier. « C’est l’occasion de rappeler que la culture reste un pont entre générations », glisse-t-il en rangeant son stylo.
Une médaille et une réflexion sur l’identité
Moment fort : la remise à Thierry Paul Ifoundza de la médaille de promotion de la culture africaine. La distinction, décernée par le comité d’organisation, salue son œuvre romanesque et ses actions de vulgarisation médicale. « Je m’efforcerai d’en être digne », déclare-t-il simplement.
La question de l’identité de l’auteur a, par ailleurs, animé les débats, notamment autour de la littérature togolaise. Frontières poreuses et parcours diasporiques brouillent les appartenances. « Regardez Svetlana Alexievitch, classée tour à tour ukrainienne ou biélorusse », rappelle Ifoundza, relativisant ainsi les revendications concurrentes.
Pour le médecin-écrivain, l’essentiel demeure la circulation des idées. Il défend une approche ouverte : « Nos racines se nourrissent d’influences multiples ; célébrons-les plutôt que de dresser des barrières. » Un credo applaudi par le public cosmopolite du Filab.
Jeunesse connectée et ateliers interactifs
Le deuxième jour, la bibliothèque Bénin Excellence a hébergé un atelier simultané en présentiel et visioconférence, animé depuis Paris par le professeur Victor Hountondji. Des lycéens béninois et italiens ont phosphoré sur l’éveil de la créativité artistique, démontrant le pouvoir des ponts numériques.
Ifoundza salue cette démarche pédagogique : « Faire dialoguer des adolescents séparés par des milliers de kilomètres montre que la littérature est vivante. » Les participants ont esquissé des nouvelles collaboratives publiées instantanément sur une plateforme partagée.
Pour beaucoup de jeunes, c’était une première confrontation avec des auteurs confirmés. Les questions ont fusé : comment trouver une voix originale ? Faut-il encore un éditeur ? Le Dr Ifoundza répond avec pragmatisme : « Le numérique offre l’auto-production, mais exige encore plus de rigueur. »
Défis des langues africaines et de la traduction
Au Filab, la place des langues africaines revient comme un refrain. Écrire en lingala, en fon ou en wolof ouvre un imaginaire intime, mais comment toucher un public global ? La traduction apparaît incontournable, tout en restant coûteuse et parfois imprécise.
Des éditeurs présents évoquent des outils de traduction automatique, utiles pour la première passe mais insuffisants sans relecture humaine. Ifoundza reste prudent : « L’intelligence artificielle aide, elle ne remplace pas le sens. » Il plaide pour des résidences de traducteurs africains afin de renforcer les compétences locales.
Le festival a lancé l’idée d’un fonds panafricain de soutien à la traduction numérique. Une plateforme commune permettrait de mutualiser ressources et formations, tout en valorisant les spécificités culturelles. Les discussions se poursuivront lors des prochaines éditions.
Un bilan optimiste et tourné vers l’avenir
Au terme de trois jours intenses, auteurs, étudiants et professionnels repartent avec des carnets remplis de contacts et de projets. Ifoundza résume l’esprit général : « Cette édition prouve que la créativité africaine sait s’adapter sans perdre son âme. »
Rendez-vous est déjà pris pour le Filab 2026, annoncé encore plus interactif. En attendant, le médecin-écrivain promet de revenir au pays pour partager son expérience avec les jeunes plumes congolaises. « La littérature est un remède contre l’indifférence », conclut-il sur un ton passionné.
