Brazzaville élargit son horizon maritime
Dans la quiétude institutionnelle du centre-ville, les bureaux feutrés du secrétariat permanent du Comité interministériel de l’action de l’État en mer et dans les eaux continentales ont abrité, le 4 juillet, une audience dont les échos dépassent les berges du fleuve Congo. M. Eric Olivier Sébastien Dibas-Franck, gardien de la stratégie maritime nationale, a reçu le chargé d’affaires de l’ambassade du Royaume du Maroc, M. Ahmmed Agargi, pour relancer un dialogue ouvert il y a plus d’une décennie. L’entretien, cordial et technique, a confirmé l’importance grandissante que Brazzaville accorde aux politiques océanes et fluviales dans sa trajectoire de développement.
Le Congo, dont les ressources halieutiques et la dorsale fluviale demeurent sous-exploitées, voit dans ce partenariat une rampe de lancement. L’expérience marocaine, nourrie par plus de 3 500 km de littoral, offre une palette d’outils que le pays entend adapter à ses réalités, sans renoncer à la souveraineté sur ses choix stratégiques.
Capital humain : un sillage de compétences partagées
« Former l’homme avant de construire les infrastructures », a résumé M. Agargi à la sortie de l’audience, rappelant la conviction marocaine selon laquelle la ressource première demeure le savoir. L’Université Abdelmalek Essaâdi de Tanger, l’Institut supérieur des pêches maritimes ou encore l’Académie internationale Mohamed VI de l’aviation civile pourraient prochainement accueillir des cadets congolais en hydrographie, droit maritime et sécurité portuaire.
Pour la jeunesse congolaise, cette ouverture représente un passeport vers des carrières techniques où les besoins explosent. Les autorités misent sur des retombées concrètes : officiers de port qualifiés, pilotes fluviaux certifiés et experts en géomatique côtière, capables demain de nourrir la chaîne logistique nationale. La démarche s’inscrit dans la vision présidentielle de diversification économique, encouragée par le Plan national de développement 2022-2026.
Sécurité des mers et des fleuves : une priorité partagée
Le golfe de Guinée concentre encore près de 30 % des actes de piraterie rapportés en Afrique selon les bilans de l’Organisation maritime internationale. Si les chiffres baissent depuis 2021, la vigilance reste de mise. La coopération Congo-Maroc s’appuie sur les enseignements tirés des opérations de la Marine royale marocaine dans l’Atlantique et la Méditerranée. Patrouilles conjointes, échanges de renseignement et formation d’équipes de visite figurent dans la trame d’un futur protocole spécifique, dont les contours seront affinés par la commission mixte issue de l’accord du 23 février 2010.
À l’intérieur des terres, les enjeux de sûreté ne sont pas moindres. Les autorités fluviales envisagent l’installation de balises AIS et de stations VHF sur l’axe Brazzaville-Pointe-Noire. La réduction des accidents de navigation devrait améliorer la fluidité du commerce et renforcer l’attractivité du corridor fluvial, pierre angulaire de la Zone de libre-échange continentale africaine.
Gestion intégrée des zones côtières et des voies intérieures
La façade atlantique congolaise, longue de 170 km, conjugue fragilités érosives et potentiel touristique. Les experts marocains en génie côtier proposent des solutions fondées sur la nature : rechargement sédimentaire contrôlé, restauration de mangroves et mise en place de barrières végétales. Cette approche, testée à Mohammedia et El Jadida, pourrait être transposée sur la lagune de Conkouati.
Sur le plan fluvial, le Royaume offre une assistance technique pour le curage des chenaux et la modernisation des systèmes de signalisation. De meilleures profondeurs d’enfoncement sur l’Oubangui et la Sangha faciliteraient le déploiement des barges à faible tirant d’eau, indispensables à l’approvisionnement des zones enclavées du Nord.
Diplomatie bleue et transition climatique
Le partenariat trouve un ancrage supplémentaire dans le Fonds Bleu pour le Bassin du Congo, lancé le 9 mars 2017 à Oyo, initiative saluée par le président Denis Sassou Nguesso lors du Sommet africain de Marrakech. L’appui du Maroc, acté par le mémorandum du 12 mars 2018 avec le centre 4C, renforce la dimension climatique de la coopération. Ensemble, les deux pays entendent promouvoir des projets financés à hauteur de trois milliards de dollars pour la restauration des écosystèmes aquatiques et la valorisation de l’économie circulaire.
Cette diplomatie bleue illustre la convergence de deux visions africaines : l’une arrimée au plus grand fleuve du continent, l’autre à un carrefour maritime ouvert sur l’Europe et les Amériques. Elle confirme également la place du Congo dans les négociations climatiques, en lien avec la Commission climat du Bassin du Congo, pilier des efforts continentaux.
De nouvelles opportunités pour la jeunesse congolaise
Au-delà des chiffres et des accords, la coopération nourrit l’espérance d’une génération à l’affût d’emplois qualifiés. Les projets de réhabilitation des chantiers navals de Pointe-Noire, l’essor du transport fluvial de passagers et la pêche rationalisée peuvent créer des milliers de postes. Les startups congolaises spécialisées dans la cartographie par drone ou la maintenance industrielle entraperçoivent déjà des marchés régionaux.
Les deux parties se donnent douze mois pour installer la commission mixte prévue par l’accord de 2010. Si ce calendrier est respecté, les premiers programmes de bourses pourraient débuter dès la rentrée universitaire prochaine. « Nous avançons avec pragmatisme », a conclu M. Dibas-Franck, estimant que la mer et le fleuve, souvent perçus comme frontières, doivent désormais être envisagés comme des passerelles de connaissance, de prospérité et de solidarité africaine.