Un débat relancé autour des autorisations provisoires
Dans la moiteur d’un après-midi brazzavillois, la conférence de presse organisée le 27 juin 2025 par un collectif d’organisations non gouvernementales a remis sur le devant de la scène un dossier délicat : la poursuite des opérations forestières par cinq entreprises dont les conventions ont atteint leur terme légal. L’Observatoire congolais des droits de l’homme, par la voix de sa directrice exécutive Nina Cynthia Kiyindou Yombo, estime que les autorisations transitoires signées par le Ministère de l’Économie forestière s’écartent des garde-fous imposés par le Code forestier. Les ONG demandent purement et simplement l’annulation de ces lettres unilatérales et l’ouverture, pour chaque titre, d’un avenant négocié en Conseil des ministres. L’annonce a retenti comme un rappel à l’ordre dans un secteur qui représente près de neuf pour cent du produit intérieur brut national, tout en demeurant l’un des principaux employeurs du bassin nord.
Du côté gouvernemental, on relativise. « Il s’agit d’un mécanisme transitoire, prévu pour éviter l’arrêt brusque d’activités génératrices de milliers d’emplois, le temps de finaliser les audits techniques », précise un cadre de la Direction générale de l’économie forestière, préférant l’anonymat mais rappelant que la République du Congo a été l’un des premiers États africains à signer, dès 2013, l’Accord de partenariat volontaire FLEGT. Cette nuance illustre la tension entre urgence socio-économique et rigueur environnementale qui sous-tend le débat.
Le cadre juridique congolais, entre volontarisme et failles opérationnelles
Deux décennies séparent la première loi forestière de 2000 du nouveau Code promulgué en 2020. Entre-temps, le pays a multiplié les engagements internationaux, de la Convention sur la diversité biologique à l’Initiative pour la forêt d’Afrique centrale. Ce socle règlementaire est souvent cité comme exemplaire dans la sous-région. Toutefois, les textes les plus ambitieux doivent composer avec les réalités de terrain : logistique limitée, effectifs de contrôle restreints et nécessité de concilier compétitivité industrielle et inclusion des communautés locales.
Les autorisations provisoires délivrées en 2025 à la Spiex, à la CDWI, à la SEFYD, à la SIFCO et à la SICOFOR se situent à cette intersection. Les ONG craignent un précédent qui ouvrirait la voie à des prorogations tacites, alors que les autorités défendent un dispositif destiné à protéger des investissements lourds souvent supérieurs à quinze millions de dollars par concession. Le nouveau Code impose pourtant des cahiers de charges précis, l’obligation de plans d’aménagement et une certification légale dans un délai contractuel. Les écarts constatés rappellent la complexité de l’ingénierie juridique lorsque le principe de durabilité rencontre celui de continuité économique.
Les griefs de la société civile et les arguments institutionnels
Dans leur note de position, les organisations citoyennes pointent un risque pour la biodiversité et pour la cohésion sociale des villages riverains. Elles soulignent, citant les missions d’observation indépendante menées en 2024, que certaines parcelles auraient dépassé leurs quotas d’abattage autorisés. Elles redoutent également l’érosion de la confiance à l’égard de la réforme forestière, longtemps présentée comme pilote en Afrique centrale. « Nous voulons des procédures transparentes, pas une suspension des activités économiques », nuance néanmoins un responsable de l’ONG Rencontre pour la Paix et les Droits de l’Homme, qui insiste sur l’importance d’associer les jeunes des localités concernées au suivi des concessions.
Le Ministère de l’Économie forestière, pour sa part, rappelle que les autorisations temporaires sont assorties de clauses de réversibilité : « Si l’audit externe en cours confirme la non-conformité, les titres seront automatiquement retirés », assure un haut fonctionnaire lors d’un échange téléphonique. Il souligne que 85 % des recettes forestières nationales proviennent désormais de sociétés engagées dans des processus de certification, contre moins de 30 % il y a dix ans. L’administration évoque également le lancement, en partenariat avec la Banque mondiale, d’une plateforme numérique de traçabilité censée rendre publiques toutes les données relatives aux titres dès 2026.
Quelles pistes de sortie pour une foresterie durable et inclusive
Dans l’immédiat, plusieurs scénarios se dessinent. La société civile plaide pour l’arrêt momentané des coupes dans les parcelles arrivées à maturité contractuelle et pour un audit indépendant couvrant les deux dernières années d’attribution. Le secteur privé voit, dans la même proposition, l’opportunité d’une clarification qui sécuriserait les investissements et faciliterait l’accès aux marchés exigeant la diligence FLEGT. L’administration, consciente de l’enjeu réputationnel, étudie la possibilité de publier, avant la fin de l’année, un calendrier détaillé de renouvellement des conventions, assorti d’indicateurs de performance écologiques et sociaux.
Au-delà des procédures, la question de la participation des communautés se trouve au cœur des futures orientations. Les expériences pilotes menées dans la Lékoumou et la Sangha, où des comités paritaires intègrent représentants d’ONG, autorités préfectorales et notables locaux, ont déjà démontré une baisse de 12 % des litiges fonciers en trois ans, selon une étude de la faculté des sciences économiques de l’Université Marien-Ngouabi. L’enjeu réside désormais dans l’extension de ces mécanismes à l’ensemble des concessions, sans créer de lourdeurs administratives pénalisant la compétitivité.
En filigrane, les jeunes adultes congolais, souvent en première ligne des emplois forestiers, attendent des signaux clairs. « La filière doit rester attractive tout en garantissant le respect de nos forêts, qui sont aussi notre avenir touristique », témoigne Carine Mbemba, 26 ans, technicienne forestière à Ouesso. Pour ces nouveaux professionnels, la réforme n’est pas seulement une affaire de textes mais un levier de carrière et de fierté nationale.