Brazzaville accueille un forum stratégique
Autour des lambris du Palais des congrès, industriels, économistes et étudiants se sont retrouvés le 18 août pour un rendez-vous inédit consacré à la filière ciment. Sous l’impulsion du ministère du Développement industriel, le forum veut redessiner la carte d’un secteur vital.
Le ministre Antoine Thomas Nicéphore Fylla Saint Eudes ouvre les débats d’un ton volontariste: «Nous visons un marché intégré, compétitif et résilient, capable d’approvisionner toute la sous-région», affirme-t-il devant un auditoire attentif composé d’experts régionaux, de bailleurs et de représentants d’entreprises locales.
Durant deux jours, tables rondes et ateliers alternent pour dresser l’état des lieux, analyser les goulets logistiques, passer en revue les normes de qualité et identifier les leviers fiscaux. L’idée directrice reste la gouvernance: transparence, prévisibilité réglementaire et synergies public-privé.
Les enjeux d’un hub cimentier régional
Le Congo dispose déjà de trois unités majeures concentrées entre la capitale et le littoral. Leur capacité cumulée dépasse trois millions de tonnes, soit plus du double de la demande intérieure, selon les chiffres de l’Institut national de la statistique publiés en juin.
Cette surcapacité apparente représente un atout stratégique. «En optimisant le rail et le cabotage, nous pouvons exporter vers la Centrafrique, le Cameroun ou l’Angola à des coûts compétitifs», explique l’analyste logistique Julie Mavoungou, saluant le corridor Pointe-Noire-Ouesso en cours de réhabilitation.
Les partenaires interrogés insistent sur la stabilité macro-économique nationale, jugée propice aux investissements lourds. L’accès à l’énergie, renforcé par la mise en service du barrage Liouesso, réduit l’un des postes de coûts majeurs et améliore l’empreinte carbone des fours.
Des chiffres qui parlent
Selon la Banque mondiale, chaque point de croissance du BTP s’accompagne d’une élasticité de 0,8 sur la demande de ciment. À Brazzaville, les chantiers du pont route-rail et des 12 000 logements sociaux stimulent déjà la consommation domestique, évaluée à 1,3 million de tonnes.
Le cadre incitatif adopté en 2023 prévoit un taux réduit de TVA sur l’importation de pièces détachées et un amortissement accéléré des investissements verts. D’après le cabinet Deloitte Afrique Centrale, ces mesures pourraient accroître de 15 % la capacité effective d’ici 2026.
Innovation et environnement
Au forum, l’accent est mis sur l’économie circulaire. Les chercheurs de l’Université Marien-Ngouabi présentent un liant incorporant 30 % de cendres de biomasse, réduisant d’autant les émissions de CO₂. L’industrie locale teste déjà ce matériau sur les dalles du futur marché ultramoderne de Talangaï.
La question de la biodiversité des carrières suscite également l’attention. Une charte de restauration progressive intègre le reboisement systématique et la création de points d’eau pour la faune. «Protéger les écosystèmes, c’est protéger nos communautés», rappelle Elie Mbemba, ingénieur environnement au sein d’un groupe opérant à Mindouli.
La voix des jeunes professionnels
Parce qu’ils composeront l’essentiel des effectifs de demain, les jeunes ingénieurs civil et chimistes ont obtenu une tribune spécifique. Dans un manifeste remis au comité d’organisation, ils réclament davantage de stages pratiques, l’actualisation des programmes et l’accès facilité aux laboratoires de contrôle qualité.
«Le ciment voyage, les compétences aussi», confie Nadège Itoua, diplômée en formulation. Pour elle, la création d’un label congolais reconnu par l’Organisation africaine de normalisation permettrait de valoriser le savoir-faire national et d’offrir des passerelles vers les marchés du Nigéria ou du Ghana.
Les start-ups ne sont pas en reste. La jeune pousse E-Mbéton, incubée à Pointe-Noire, présente une application mobile qui compare en temps réel les prix du clinker, calcule l’empreinte carbone d’un projet et propose des alternatives plus sobres. Le prototype a remporté un prix continental en mars.
Perspectives de financement
Les discussions financières pointent vers des partenariats public-privé. La Banque de développement des États de l’Afrique centrale annonce une ligne de crédit de 120 millions de dollars pour moderniser les fourneaux et automatiser la manutention. Les conditions incluent un taux préférentiel lié à la performance environnementale.
L’Agence française de développement, déjà présente sur le projet routier Dolisie-Nkayi, envisage de co-financer des unités de valorisation des déchets plastiques pour produire des combustibles alternatifs. Une étude préliminaire évoque une réduction possible de 25 % des coûts énergétiques, un argument solide pour les investisseurs.
Au terme des travaux, un document de synthèse sera remis au gouvernement. Il fixera un calendrier de réformes, allant de la digitalisation des procédures douanières à l’extension du label Made in Congo. Les participants espèrent que ces engagements transformeront l’ambition d’un hub cimentier en réalité tangible.
Au-delà du ciment: impact sociétal
Les retombées sociales occupent une place centrale dans les échanges. Chaque million de tonnes produit génère près de 300 emplois directs et 1 000 emplois indirects, selon le ministère du Travail. Les délégués insistent sur la nécessité d’intégrer des clauses de formation locale dans les contrats.
Dans les couloirs, les associations féminines rappellent que la parité reste faible, avec moins de 10 % de femmes cadres dans l’industrie. Un accord de principe prévoit des bourses ciblées et des crèches sur site, afin de lever des freins souvent invisibles mais déterminants.
