Franco, l’étoile éternelle de la rumba
Le 12 octobre 1989, la Clinique Mont-Godinne en Belgique voyait s’éteindre François Luambo Lua Ndjo Makiadi, connu sous le nom de Franco. À 51 ans, le “Grand-Maître” tirait sa révérence, laissant un vide profond dans la galaxie rumba.
Trois décennies ont passé, pourtant les riffs de sa guitare et la puissance rocailleuse de sa voix résonnent toujours dans les quartiers de Brazzaville, Pointe-Noire et bien au-delà. Pour nombre de mélomanes, Franco demeure la bande-son des retrouvailles familiales et des nuits dansantes.
Son aura dépasse les frontières de la RD Congo, son pays natal. Sur les deux rives du fleuve Congo, on se souvient d’un artiste qui a su parler à la fois d’amour, de société et de fête, sans jamais perdre son authenticité.
Génie de la guitare et conteur urbain
Cofondateur du T.P. OK Jazz en 1956, Franco a rapidement imposé sa vision : des arrangements soignés, des chœurs enveloppants et des solos de guitare hypnotiques. Chaque note semblait jaillir d’une conversation secrète entre ses doigts et le public.
Les titres « Mario », « 12 600 lettres », « Bomba bomba mabé » ou encore « Liberté » sont devenus des classiques. Ils racontent des histoires simples, souvent urbaines, que beaucoup fredonnent encore dans les salons de coiffure ou les taxis collectifs.
À travers ces chansons, Franco observe la vie quotidienne, dénonce parfois les dérives sociales, mais toujours avec cette touche d’humour et de sagesse populaire qui désarme. Son répertoire abondant et flamboyant constitue un manuel vivant de la culture congolaise.
Un héritage qui traverse les rives
De Brazzaville à Kinshasa, la rumba congolaise est une langue commune. Franco en est l’un des plus grands traducteurs. Ses mélodies ont accompagné les rassemblements festifs, les séparations douloureuses et les déclarations d’amitié entre peuples voisins.
Les jeunes formations qui se produisent aujourd’hui sur les scènes brazzavilloises reprennent volontiers ses titres, souvent réarrangés avec des touches d’afro-trap ou de kizomba. Le public reconnaît l’ossature originelle, preuve d’une écriture tellement solide qu’elle se prête à toutes les réinventions.
Dans beaucoup de familles, la première leçon de danse se fait encore sur un morceau de Franco. Les générations se croisent sur la piste, créant ce fil invisible qui relie la mémoire collective à l’instant présent.
De la scène à l’Unesco, la rumba sanctifiée
Le 14 décembre 2021, la rumba congolaise entrait au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. Franco n’a pas vécu cet instant symbolique, mais son ombre plane sur cette reconnaissance planétaire.
Cette inscription consacre un genre dont il fut l’un des artisans majeurs. Elle rappelle aussi la responsabilité des artistes et des institutions à protéger un héritage qui appartient désormais à l’humanité entière.
À Brazzaville, de nombreuses voix saluent la décision. Pour elles, maintenir vivante la rumba, c’est aussi maintenir vivante la vision d’un Franco qui rêvait d’une musique sans frontières, capable de rassembler les cœurs et les horizons.
Playlists et soirées : Franco fait toujours danser
Dans les sound-systems des bars de Bacongo comme dans les mariages de Talangaï, « Mario » reste un déclencheur instantané de pas chaloupés. La ligne de basse, imperturbable, semble dicter le rythme cardiaque collectif.
Les DJ actuels glissent sans hésiter « Liberté » dans des sets plus modernes. Le contraste entre la chaleur analogique des cuivres et les kicks électroniques crée une fusion qui séduit un public né après 2000.
Pour un afterwork réussi, il suffit de lancer « Bomba bomba mabé ». Les conversations ralentissent, les épaules ondulent et la nostalgie heureuse prend le dessus. Cette capacité à fédérer fait de Franco un invité permanent de nos playlists.
À l’école de Franco, le management avant la scène
Au-delà de la musique, il était un redoutable manager. Tenir la barre du T.P. OK Jazz pendant plus de trois décennies exigeait rigueur et vision. Son sens de l’organisation a inspiré de nombreux collectifs artistiques sur nos rives.
La pérennité du groupe prouve qu’un leadership artistique solide peut coexister avec des exigences commerciales. Franco a montré qu’on pouvait négocier des cachets justes, planifier des tournées et produire des vinyles tout en restant fidèle à une esthétique.
Cette leçon reste essentielle pour la nouvelle génération brazzavilloise, qui cherche à concilier créativité et viabilité économique. Chez Franco, la partition se lisait autant dans la musique que dans la gestion.
Entre mémoire et avenir : célébrer sans figer
Trente-six ans après sa disparition, les célébrations ne manquent pas. Des radios consacrent des émissions spéciales, des ateliers de danse revisitent ses pas, et les réseaux sociaux regorgent de challenges sur les riffs de « Mario ».
Pourtant, l’hommage le plus puissant consiste peut-être à créer. Chaque nouveau morceau de rumba, chaque innovation inspirée par ses harmonies, prolonge la conversation ouverte par Franco au siècle dernier.
“Les artistes ne meurent jamais”, écrivait le chroniqueur Guy Francis Tsiehela. Tant que nos soirées se termineront au son d’une guitare qui pleure doucement, Franco restera vivant, quelque part entre Kin la bouillonnante et Brazza la chaleureuse.