Une embellie statistique fragile selon la Banque mondiale
La Note de Conjoncture économique 2025 que vient de publier la Banque mondiale évoque une progression du produit intérieur brut gabonais de 2,9 % en 2024. Ce sursaut intervient après deux années heurtées par la pandémie et la volatilité des prix des matières premières. Le rapport souligne néanmoins que ce rythme demeure en deçà des 5 % nécessaires pour inverser durablement la courbe de la pauvreté (Banque mondiale 2025). Derrière le chiffre, la question centrale reste la soutenabilité de la croissance alors que le pays entame une transition politique délicate depuis l’issue de la dernière présidentielle.
Entre dépendance pétrolière et velléités de diversification
Près de 80 % des recettes d’exportation proviennent encore du pétrole brut, dont la production s’est légèrement redressée à la faveur d’investissements différés durant la crise sanitaire. L’inauguration en février d’un terminal offshore, saluée par le ministre du Pétrole, a permis de doper les volumes tandis que la remontée des cours mondiaux a offert un matelas budgétaire inespéré. Pourtant, l’institution de Bretton Woods rappelle que la fenêtre d’opportunité est étroite : la transition énergétique mondiale annonce une possible baisse structurelle de la demande d’or noir d’ici la prochaine décennie. « Sortir de l’addiction au pétrole n’est plus un choix, c’est une exigence historique », confie à Libreville un haut fonctionnaire du ministère de l’Économie qui préfère conserver l’anonymat.
Des chantiers publics dopant la demande intérieure
Au-delà des hydrocarbures, la croissance 2024 a été soutenue par la reprise des travaux publics, notamment la réhabilitation de la route Transgabonaise et la modernisation du port d’Owendo. Ces investissements, financés pour partie par des emprunts concessionnels, ont généré des emplois à court terme et stimulé la demande de ciment produit localement. Les statistiques officielles notent une hausse de 6 % de la valeur ajoutée du secteur BTP, chiffre encore modeste mais symbolique d’une timide diversification productive. Les commerçants de Ntoum témoignent d’une augmentation sensible de la fréquentation de leurs boutiques depuis le lancement des travaux.
Le piège des inégalités et de la dette publique
L’embellie macroéconomique laisse toutefois inchangée la réalité sociale. Selon la dernière Enquête Gabonaise des Conditions de Vie des Ménages, près d’un Gabonais sur trois vit sous le seuil de pauvreté monétaire. L’indice de Gini demeure supérieur à 0,4, signe d’inégalités tenaces. Parallèlement, la dette publique frôle 65 % du PIB, un seuil que la CEMAC juge préoccupant. Le service de la dette consomme déjà plus de 30 % des recettes fiscales, limitant la capacité de l’État à accroître les dépenses sociales. La Banque mondiale plaide pour un recentrage des investissements vers l’éducation technique et la santé primaire afin de créer les bases d’une prospérité inclusive.
Réformes structurelles : promesses et scepticisme
Le gouvernement a promis l’adoption, d’ici fin 2025, d’un nouveau code minier visant à attirer des capitaux dans le manganèse et le fer, tout en renforçant la transparence des contrats. Parallèlement, un guichet unique pour les formalités d’exportation du bois débité devrait entrer en service au premier semestre 2026. Ces annonces suscitent un optimisme mesuré au sein du secteur privé. « Nous saluons la volonté d’assainir l’environnement des affaires, mais nous attendons des actes tangibles sur la sécurité juridique », souligne le président d’une association d’industriels installés à Port-Gentil. La Banque mondiale, de son côté, conditionne une partie de son appui budgétaire à la mise en œuvre effective de ces réformes, notamment la rationalisation des subventions énergétiques qui pèsent sur les finances publiques.
Une résonance particulière pour la jeunesse congolaise
Pour les jeunes adultes du Congo-Brazzaville, le cas gabonais apporte des leçons utiles. D’un côté, il illustre les bénéfices à court terme d’une gestion pragmatique de la rente pétrolière visant à financer les infrastructures. De l’autre, il rappelle les risques de rester captif d’un seul produit d’exportation face à l’urgence climatique et au bouleversement des marchés mondiaux. Dans un contexte sous-régional marqué par la recherche de nouvelles sources de croissance, la complémentarité des deux rives de l’Ogooué pourrait se renforcer, notamment via des partenariats logistiques ou la mutualisation des programmes de formation technique. Alors que Libreville cherche à diversifier son économie, Brazzaville explore les mêmes voies dans l’agro-industrie et l’économie numérique ; la compétition pourrait se muer en coopération si les cadres réglementaires convergent.
Perspectives et vigilance
La Banque mondiale anticipe un ralentissement à 2,5 % du PIB en 2025, reflétant l’incertitude entourant les cours du Brent et la normalisation des dépenses publiques. Les marges d’erreur demeurent élevées, l’économie gabonaise étant exposée aux chocs extérieurs. Le défi consiste désormais à transformer la respiration conjoncturelle actuelle en une dynamique durable fondée sur la diversification, la réduction des inégalités et une gestion responsable de la dette. Sans cela, la « croissance d’espoir » vantée par certains observateurs pourrait se diluer, laissant de nouveau la jeunesse face à des perspectives d’emploi limitées. La balle est dans le camp des décideurs, dont la crédibilité se jaugera à l’aune de la mise en œuvre de réformes maintes fois annoncées.