Une reconnaissance au sommet de l’État
Au palais des congrès de Brazzaville, l’éclatante rosette écarlate a trouvé, le 25 juillet, l’épaule d’un homme dont le nom résonne depuis des décennies dans les amphithéâtres d’Afrique et d’outre-Atlantique. Par un décret solennel, le président Denis Sassou Nguesso a conféré la dignité de Grand-Croix de l’Ordre du mérite congolais au professeur Théophile Obenga, faisant de cette figure tutélaire des sciences humaines la plus haute incarnation vivante de la décoration nationale. La portée symbolique de cet acte dépasse la simple politesse républicaine : elle inscrit, dans le marbre protocolaire, la conviction qu’un capital intellectuel vigoureux demeure un levier essentiel du développement.
Les fastes d’une cérémonie à la fois savante et civique
Le cérémonial, réglé au millimètre, a rassemblé les présidents d’institutions, le corps diplomatique, des universitaires en toge aussi bien que de jeunes doctorants curieux. À l’appel du grand chancelier, le colonel Norbert Okiokotina, la salle s’est levée comme un seul homme pour écouter la lecture du décret. Dans une atmosphère chargée d’émotion, le chef de l’État, grand maître des ordres nationaux, a posé la médaille sur la poitrine du récipiendaire avant de prononcer, d’une voix ferme, la formule consacrée. Quelques instants plus tard, un bref mais dense discours du lauréat est venu rappeler « la capacité de la connaissance à forger la conscience des peuples », sous les applaudissements d’une assistance où se mêlaient respect et fierté.
Parcours d’un humaniste polyglotte et multidisciplinaire
Né en 1936 à Mbaya, sur les bords de l’Alima, Théophile Obenga a très tôt emprunté les sentiers simultanés de la philosophie, de la linguistique et de l’égyptologie. De l’université Marien-Ngouabi aux campus californiens, ses séminaires sur la parenté des langues négro-égyptiennes ou l’autonomie conceptuelle de la pensée africaine ont façonné plusieurs générations d’étudiants. L’homme cumule une cinquantaine d’ouvrages et une centaine d’articles scientifiques, tout en ayant piloté le Centre international des civilisations bantoues et conseillé l’Unesco sur la redéfinition des curricula historiques. Cet itinéraire, souvent décrit comme un pont entre académisme rigoureux et diplomatie culturelle, explique l’attention que lui portent aussi bien les cercles universitaires que les décideurs.
L’enseignement supérieur, priorité stratégique nationale
Représentant personnel du chef de l’État pour le développement de l’enseignement supérieur, le professeur Obenga s’est vu confier la conduite de chantiers structurants, au premier rang desquels l’université Denis Sassou Nguesso. En conjuguant exigence scientifique et ouverture internationale, il a rappelé que la formation de cadres hautement qualifiés demeure l’épine dorsale de la diversification économique visée par le Plan national de développement. La ministre Delphine Édith Emmanuel, saluant « un maître d’œuvre aux racines solides et aux ailes déployées », a inscrit cette décoration dans la dynamique institutionnelle qui encourage travail, discipline et amour de la patrie, valeurs cardinales du projet « Ensemble, poursuivons la marche ».
Un message adressé à la jeunesse en quête de repères
Face à une génération ultra-connectée, parfois tentée par des raccourcis professionnels, la trajectoire d’Obenga réintroduit la notion de temps long : celui de la recherche, de la persévérance et du service public. Sa dédicace « à la jeunesse éveillée du continent » a retenti comme un rappel de l’obligation morale de s’approprier l’héritage intellectuel africain, non pour répéter le passé, mais pour mieux innover. Plusieurs étudiants rencontrés à l’issue de la cérémonie y ont perçu une invitation à « pousser la curiosité jusqu’aux racines », selon l’expression de Mireille Moussokou, doctorante en histoire politique.
Capital immatériel et diplomatie du savoir
Au-delà de l’instant protocolaire, la Grand-Croix octroyée à Théophile Obenga participe d’une stratégie plus vaste : valoriser le capital immatériel national face aux enjeux de la compétition mondiale des idées. Dans un contexte où l’Afrique centrale s’affirme comme carrefour démographique et culturel, la mise en avant de figures académiques sert de boussole et d’outil d’influence douce. À la croisée de la reconnaissance interne et de la lisibilité externe, l’État promeut une diplomatie du savoir susceptible d’attirer partenariats universitaires, investissements technologiques et échanges scientifiques.
Écrire demain à l’encre de la connaissance
Lorsque les applaudissements se sont éteints et que les accords de la fanfare présidentielle ont laissé place à un silence studieux, il est resté l’image d’un professeur octogénaire, sourire discret, médaille au revers, incarnant la coïncidence rare entre mérite individuel et ambition collective. La République, en distinguant l’un de ses savants les plus prolifiques, salue aussi une certaine idée de l’avenir : celui où l’intelligence, la recherche et la transmission constituent le socle d’une prospérité partagée. Sous la lumière tamisée de la salle des conférences internationales, le message s’est gravé dans les esprits : la vraie modernité se construit à la hauteur des bibliothèques que l’on érige et des esprits que l’on éclaire.