Un protocole aux implications énergétiques majeures
À l’heure où les capitaux se raréfient pour l’exploration pétrogazière, la Compagnie nationale de pétrole libyenne vient d’obtenir un appui de poids. Signé le 25 juin à Istanbul, le protocole d’accord avec Turkish Petroleum Corporation confie à cette dernière la réalisation d’études géologiques et géophysiques sur quatre zones offshore situées au large des côtes libyennes. Selon le président du conseil d’administration de la NOC, Farhat Bengdara, « ce partenariat s’inscrit dans la volonté de relancer la production nationale au-delà du seuil historique de 1,2 million de barils par jour » (Reuters).
Les enjeux juridiques d’une mer disputée
Ces blocs se situent dans une portion de la Méditerranée orientale traversée de revendications concurrentes, en particulier depuis que Tripoli et Ankara ont conclu, en 2019, un mémorandum délimitant leurs zones économiques exclusives. Athènes estime que l’accord empiète sur son plateau continental, tandis que Le Caire conteste son fondement en droit international. Les nouvelles études risquent de ranimer ces litiges, car toute découverte commercialisable pourrait redimensionner la cartographie des flux d’hydrocarbures de part et d’autre du bassin levantin.
La posture turque face à l’embargo européen
Pour Ankara, cette offensive technico-scientifique résonne comme une réponse au verrouillage croissant du marché européen depuis l’invasion de l’Ukraine. Le directeur général de TPAO, Melih Han Bilgin, a déclaré que « la diversification des sources doit se penser à l’échelle méditerranéenne, car la Turquie se conçoit désormais comme un hub énergétique pour l’Eurasie et l’Afrique du Nord » (Anadolu Agency). À défaut de pouvoir s’affranchir des sanctions qui compliquent ses approvisionnements russes, la Turquie espère sécuriser des réserves de proximité et renforcer son influence diplomatique.
Tripoli, entre besoin de stabilité et quête de partenaires
En Libye, la reconstruction post-conflit passe par une stabilisation des recettes pétrolières. Le pays concentre déjà 39 % des réserves prouvées d’Afrique, mais la dégradation accélérée des infrastructures limite l’exportation. L’afflux de technologie turque, en matière de sismique 3D et d’imagerie gravimétrique, pourrait accélérer la mise en valeur de gisements dormants. Plusieurs analystes notent, toutefois, que l’implantation d’une société étrangère sera durable seulement si les factions rivales de Tripoli et Benghazi acceptent de respecter la neutralité des installations offshore.
Répercussions possibles pour les économies africaines orientées pétrole
La signature intervient alors que plusieurs producteurs subsahariens, dont le Congo-Brazzaville et l’Angola, cherchent eux aussi à étendre la prospection ultra-profonde. Les facilités fiscales accordées par Tripoli à TPAO pourraient créer une concurrence normative dans la région. « Un cadre contractuel agressif au nord du continent risque d’entraîner une surenchère des incitations au sud, au détriment des recettes publiques », avertit l’économiste camerounais Raoul Batoko, interrogé par notre rédaction.
Perspective des marchés mondiaux à l’ère de la transition énergétique
Les majors occidentales ont, depuis 2020, réorienté leurs portefeuilles vers le gaz et l’hydrogène vert, laissant aux compagnies nationales – souvent moins contraintes par les impératifs climatiques – les segments amonts les plus risqués. La Libye et la Turquie s’engouffrent dans cette niche, misant sur un prix du baril qui, malgré la volatilité, s’est maintenu au-delà de 80 USD en moyenne depuis janvier. À moyen terme, la viabilité économique de l’accord dépendra autant des résultats sismiques que de la capacité des deux capitales à négocier des débouchés compatibles avec les politiques européennes de décarbonation. Pour le moment, le protocole cultive l’ambiguïté : il nourrit l’espoir de revenus immédiats tout en bousculant la trajectoire mondiale vers la neutralité carbone.
Un signal adressé à la jeunesse africaine
Pour les jeunes adultes congolais qui observent les scènes pétrolières régionales, l’épisode rappelle l’importance de la transparence contractuelle et du transfert de compétences. L’exemple libyano-turc montre, d’un côté, la capacité d’un pays fragmenté à attirer des investisseurs en jouant sur la rareté des gisements marins, et, de l’autre, les risques de polarisation quand la gouvernance demeure fragile. Au-delà des chiffres et des volumes, c’est donc une question de souveraineté énergétique qui s’invite, une souveraineté que la génération montante devra défendre, articuler à l’urgence climatique et inscrire dans une vision continentale.