Brazzaville s’éveille au septième art
Au cœur de Brazzaville, une nouvelle génération de créateurs pense l’image comme un vecteur de changement sociétal. L’un de ses visages les plus emblématiques s’appelle Gilles Djibril Miakalououa, réalisateur de 46 ans, qui fait dialoguer caméra et héritage musical avec une aisance rare.
L’artiste, fils de la chanteuse légendaire Jacquito Mpoungou, refuse pourtant toute opposition entre les notes et les images. Il affirme que le cinéma lui permet « d’intégrer la musique dans une narration plus longue, plus immersive » et d’atteindre un public friand de contenu audiovisuel local.
Un héritage musical assumé sur grand écran
Né dans un foyer où les répétitions ressemblaient à des veillées chantantes, Gilles a très tôt mesuré le poids de la mélodie dans la culture congolaise. Cette proximité explique, selon lui, « la nécessité de filmer les sons pour que la mémoire reste intacte dans chaque foyer ».
Pourtant, l’homme n’a jamais envisagé une carrière d’interprète. Il raconte avoir préféré « capter les regards, les silences et les couleurs qui traversent la musique » plutôt que reproduire le timbre maternel. Ce choix fonde sa posture de passeur, davantage qu’une volonté de rupture artistique.
Le critique Clément Feza observe que cet ancrage familial « ouvre au réalisateur une sensibilité rythmique rare dans le cinéma national ». Son court métrage Congo Lousse, en phase de montage, illustre cette fusion : les percussions guident la tension entre producteur et cinéaste à l’écran.
Parcours d’un autodidacte du scénario
Avant de tenir la caméra, Gilles foule les planches. Formé auprès de la troupe Artistique Le Renouveau, dirigée par Jean Claude Loukalamou, il découvre la rigueur du texte théâtral. Mais il constate vite que le public brazzavillois privilégie l’image et le mouvement aux longues tirades.
Un casting organisé pour le long métrage Le Destin, piloté par le général Dabira, agit comme révélateur. Le film ne sortira jamais, mais l’expérience le met en relation avec un réalisateur camerounais rattaché à DRTV. Il devient d’abord acteur, puis dialoguiste, enfin scénariste.
« J’ai appris le métier sur le tas, avec les conseils de Sébastien Kamba », souffle-t-il. Ses efforts sont entérinés par la carte professionnelle délivrée par le ministère de l’Industrie culturelle, symbole d’une filière qui se structure progressivement autour de certifications et de protocoles clairs.
Créer sans moyens : défis des jeunes cinéastes
Le principal obstacle reste la logistique. Les salles de répétition coûtent cher et les producteurs demeurent rares. « Nous finissons souvent les tournages dans des cours d’école ou des maisons amies », constate la réalisatrice Solange Ndinga, invitée à commenter la situation pour les jeunes équipes.
À ces carences s’ajoute l’absence de mécénat institutionnel durable. Gilles assure avoir un long métrage, Tara mé, entièrement scénarisé mais toujours bloqué faute de financement. Le récit explore la jalousie dans les familles recomposées, thème jugé porteur par plusieurs sociologues rencontrés sur le campus de Makélékélé.
Pour le critique Alphonse Bamona, la solution passera par « une synergie entre l’audiovisuel privé et la diffusion publique, afin que Télé Congo valorise davantage la création nationale ». Un signal fort, estime-t-il, capable de rassurer investisseurs, marques et institutions bancaires.
Projets à venir et attentes du public
Au-delà du long métrage, Gilles développe Ntémbé za wa, série de 52 épisodes décrivant le combat d’une veuve pour conserver son patrimoine. Pour l’instant, seules les dix premières histoires sont dialoguées, en attente de partenaires prêts à partager le risque et la distribution.
Le public, lui, montre un intérêt croissant pour les productions locales, comme le soulignent les chiffres d’audience du Festival Écrans Noirs à Brazzaville. Les séances consacrées aux jeunes réalisateurs ont affiché complet, prouvant que la demande existe et mérite d’être accompagnée durablement.
Selon l’analyste économique Prisca Mvoula, « l’essor des séries courtes sur mobile ouvre un marché inédit ». Elle appelle les start-up fintech à imaginer des microfinancements, tandis que les opérateurs télécoms pourraient proposer des passes streaming locaux, inspirés des modèles testés au Kenya.
Vers une industrie audiovisuelle inclusive
La récente mise à jour du cadre juridique sur la propriété intellectuelle, saluée par l’Union africaine, pourrait consolider cet écosystème. En sécurisant les droits des créateurs, elle facilite l’obtention de certificats de diffusion, indispensables aux parcours en festivals et aux ventes sur plateformes africaines.
Les formations diplômantes se multiplient, alimentant un vivier de monteurs, preneurs de son et animateurs 3D. L’Institut national des arts et de la culture a enregistré, cette année, une hausse de 30 % des inscriptions. Pour Gilles, « l’avenir appartient à ceux qui associent créativité et méthode ».
Le réalisateur espère la tenue d’assises nationales du cinéma afin d’harmoniser statuts, contrats et grilles de rémunération. En attendant, il continue de tourner, convaincu que chaque séquence tournée dans les rues de Poto-Poto participe à la promotion d’une jeunesse congolaise entreprenante et ambitieuse.
