Une alliance stratégique franco-congolaise
La rumeur circule plus vite qu’un texto, mais la réponse institutionnelle s’organise tout aussi vite. Depuis la rencontre du 21 août entre Aristide Ngama Ngakosso et l’ambassadrice Claire Bodonyi, Brazzaville et Paris affichent une détermination conjointe : protéger l’espace public face aux manipulations numériques.
Le mémorandum signé début 2024 a d’abord semblé technique, centré sur le partage d’indicateurs. Il se transforme désormais en levier diplomatique majeur, adossé à l’idée de « sécurité informationnelle » chère aux deux Parlements, condition jugée indispensable au bon déroulement de la présidentielle de 2026.
Dans les couloirs du Sénat congolais, on décrit un partenariat « gagnant-gagnant ». Paris apporte ses outils de détection algorithmique, Brazzaville offre sa connaissance fine des usages locaux. « Nous construisons un bouclier commun », résume un conseiller juridique, insistant sur la complémentarité plutôt que sur la dépendance.
Les infox genrées, une réalité persistante
Les fausses informations n’épargnent personne, mais elles semblent viser plus cruellement les femmes publiques. L’affaire Brigitte Macron en France ou les rumeurs sexualisées autour de la diplomate Françoise Joly à Brazzaville l’illustrent. La désinformation s’appuie sur des clichés sexistes pour amplifier l’indignation.
Pour la sociologue Mireille Mapangou, le phénomène n’est pas anodin : « Une attaque contre une voix féminine met en jeu la crédibilité de tout un débat ». Les plateformes détectent encore mal ces narratifs genrés, d’où l’importance de filtres sémantiques développés en partenariat avec VIGINUM.
VIGINUM et CSLC : architecture de la riposte
Côté français, VIGINUM suit plus de cent flux suspects chaque semaine, cartographiant réseaux, bots et sites miroirs. Ses rapports publics ont déjà attribué certaines opérations à des acteurs liés à Moscou ou Bakou, montrant la dimension géopolitique désormais indissociable du fact-checking.
À Brazzaville, le Conseil supérieur de la liberté de communication n’a pas les mêmes ressources, mais il dispose d’un réseau de correspondants régionaux capable de signaler une infox en moins d’une heure. Des ateliers conjoints ont harmonisé les grilles d’alerte, améliorant la réactivité transfrontalière.
Les deux entités croisent désormais leurs données via un canal chiffré piloté par les ministères chargés du numérique. Selon un ingénieur anonyme, cette interopérabilité « réduit le délai d’attribution de quarante-huit à douze heures », un gain décisif lorsque la viralité se mesure en minutes.
Jeunes et réseaux : ligne de front numérique
Près de 72 % des Congolais de 18 à 35 ans s’informent d’abord via Facebook ou WhatsApp, selon le Baromètre AfriTech 2025. Cette centralité des réseaux les rend plus exposés, mais aussi plus critiques : les jeunes repèrent souvent les comptes douteux, même s’ils partagent parfois malgré eux.
Le programme Educ-Media, soutenu par le ministère de la Jeunesse, visite les campus pour des simulations de fact-checking en temps réel. « Nous voulons transformer chaque étudiant en sentinelle », affirme son coordinateur, Maurice Makanga. La formation aborde également les pièges émotionnels, vecteurs habituels des deepfakes.
Côté français, l’ONG Génération Numérique partage ses contenus pédagogiques, traduits en lingala et kituba. L’idée est d’éviter un transfert descendant : les modules sont co-construits avec des influenceurs locaux, pour épouser l’humour, les références et le rythme propres aux discussions congolaises.
Cap sur 2026 : vigilance et confiance
La révision des listes électorales, programmée pour septembre 2025, constituera le premier test grandeur nature. Les experts anticipent déjà des tentatives de deepfake visant à semer la confusion sur les candidatures ou les résultats provisoires. Le protocole d’alerte prévoit une cellule jointe active 24 h/24.
L’autorité nationale des élections assure qu’elle publiera systématiquement les versions vérifiées des images sensibles, horodatées et signées numériquement. La mesure, inspirée d’une recommandation de l’UNESCO, vise à court-circuiter la propagation virale avant même que les plateformes ne déclenchent leurs propres procédures.
Pour la politologue Héloïse Ikoué, cette transparence proactive pourrait renforcer la légitimité du scrutin. « Dans un contexte post-pandémique où la méfiance est élevée, montrer la preuve technique devient un acte politique », explique-t-elle. Le défi sera de maintenir cette cadence d’ici mars 2026.
Vers une culture de vérification partagée
Au-delà des outils, l’enjeu reste culturel. Les ateliers publics mêlant journalistes, blogueurs, étudiants et autorités gagnent en popularité à Pointe-Noire et Dolisie. Chaque session se termine par un « contrat de vérification » symbolique, où les participants s’engagent à vérifier avant de partager.
Cette dynamique s’inscrit dans la Stratégie nationale du numérique 2025-2030. Le gouvernement congolais y voit un moyen de stimuler l’économie créative tout en consolidant la confiance civique. Les partenaires français, eux, saluent une approche « globale et pragmatique » qui dépasse la simple réaction aux crises.
Reste une certitude : la bataille de l’information ne se gagne ni à Paris ni à Brazzaville, mais sur les écrans et dans les conversations quotidiennes. Parce qu’elle associe diplomatie, technologie et mobilisation citoyenne, la coopération Congo–France pourrait devenir un modèle pour le continent.
Les prochains mois verront le lancement d’une plateforme publique de certification des contenus, hébergée à Oyo et alimentée par des algorithmes open-source. Elle permettra aux internautes de vérifier en deux clics l’origine d’une vidéo ou d’un texte, démocratisant ainsi l’accès aux outils réservés aux experts et au grand public.
