Un divorce politique qui secoue la sphère francophone
À 75 ans, Issa Tchiroma Bakary a choisi de rompre avec un compagnonnage vieux de trois décennies auprès du président Paul Biya. Dans une lettre publiée sur les réseaux sociaux, suivie d’une intervention en direct le lendemain, l’ancien ministre s’est déclaré candidat à la magistrature suprême, estimant que « le temps est venu pour le régime actuel de se retirer dignement ». Cette déclaration intervient dans un contexte où l’incertitude plane encore sur les intentions de Paul Biya, doyen des chefs d’État en exercice sur le continent, et redessine de facto le paysage politique d’un pays charnière pour l’Afrique centrale.
Du porte-voix gouvernemental au pourfendeur du statu quo
Transport, Communication, Emploi : autant de portefeuilles qu’Issa Tchiroma a occupés depuis 1992, se forgeant l’image d’un bouclier médiatique pour le pouvoir de Yaoundé. L’homme maîtrisait l’art de défendre les décisions présidentielles, n’hésitant jamais à affronter caméras et micros pour plaider la cause de l’exécutif. Le voilà désormais qui revendique la fin d’« un modèle en place depuis des décennies ayant montré ses limites ». Ce retournement illustre la plasticité d’une élite politique camerounaise capable de se réinventer sans rompre brutalement avec la culture de consensus qui caractérise souvent les transitions au sein du CPDM, le parti au pouvoir.
Répercussions régionales et attentes de stabilité
Dans un espace sous-régional où la stabilité est un impératif, l’officialisation de la candidature de Tchiroma est scrutée de près par les capitales voisines, Brazzaville en tête. Les crises sécuritaires dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, les tensions économiques relatives à l’inflation mondiale et les défis climatiques accroissent la nécessité d’une transition apaisée. Au Congo-Brazzaville, observateurs et analystes estiment que « tout changement à Yaoundé doit se faire dans la continuité diplomatique afin de préserver les flux commerciaux et la coopération transfrontalière », selon un haut fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères qui a requis l’anonymat.
Une jeunesse congolaise en quête d’inspiration politique
Sur les campus de Brazzaville et Pointe-Noire, la candidature de Tchiroma fait l’objet de débats passionnés. Certains étudiants y voient la preuve qu’il n’est jamais trop tard pour porter un projet réformateur, d’autres s’interrogent sur la crédibilité d’un homme longtemps associé au pouvoir qu’il conteste désormais. « Ce qui compte, c’est la capacité à proposer une gouvernance inclusive et à tenir parole, peu importe l’âge », résume Danièle, 24 ans, étudiante en relations internationales. Pour nombre de jeunes Congolais, la trajectoire camerounaise offre un cas d’école : comment concilier loyauté passée et ambition de rupture sans compromettre la cohésion nationale.
Scénarios d’une bataille électorale encore incertaine
À moins de six mois du scrutin, le CPDM n’a pas encore désigné son porte-étendard, tandis que l’opposition peine à s’accorder sur une figure unique. L’entrée en lice d’Issa Tchiroma pourrait fragmenter davantage le champ politique ou, à l’inverse, favoriser une recomposition autour de nouveaux compromis. L’intéressé appelle à la « réconciliation » et à « l’écoute des périphéries », évoquant les régions septentrionales et anglophones où il conserve des réseaux. Reste à savoir dans quelle mesure son Front pour le Salut National mobilisera un électorat au-delà de son socle traditionnel. D’ici là, l’Afrique centrale observera l’évolution de ce duel entre continuité institutionnelle et désir de renouveau, conscient qu’une élection maîtrisée au Cameroun contribuerait au climat de confiance indispensable au développement régional.