La torture au Congo-Brazzaville, un fléau plus ordinaire qu’avoué
Chaque 26 juin, la Journée internationale de soutien aux victimes de la torture offre un miroir cruel au Congo-Brazzaville : derrière les communiqués officiels célébrant l’État de droit, la pratique reste ancrée dans les geôles, les postes de police et certains couloirs des services de renseignement. Le Centre d’actions pour le développement (CAD) a choisi d’intituler sa commémoration « Justice retardée, douleur prolongée », une formule qui résume à elle seule l’itinéraire sinueux imposé aux survivants pour faire reconnaître leur douleur.
Lenteur judiciaire et impunité : les racines d’une crise de confiance
Selon les données compilées par les juristes du CAD, moins d’un dossier de torture sur dix aboutit à une audience dans les deux ans suivant les faits. Les plaintes stagnent dans les tiroirs, les expertises médicales expirent, les témoins se découragent. « Chaque report d’audience est une nouvelle nuit blanche pour les victimes », explique Trésor Nzila, directeur exécutif de l’ONG. Le sentiment d’abandon s’installe, tandis que les présumés tortionnaires conservent uniformes et grades. Cette inaction institutionnelle, dénoncée comme une « justice immobile », érode la crédibilité du système judiciaire et, par ricochet, la confiance civique indispensable à la cohésion sociale.
Le plaidoyer du CAD : une commission parlementaire pour rompre le cercle vicieux
Face à cet enlisement, le CAD exhorte l’Assemblée nationale à instituer une commission d’enquête capable de cartographier les lieux de détention non officiels, d’auditionner les forces de l’ordre et de recommander des réformes législatives. « Seule la loi peut protéger les corps et les consciences », martèle Guerschom Gobouang, responsable des campagnes. L’ONG suggère également une formation continue des policiers et gendarmes en droits humains, condition sine qua non pour enrayer la banalisation de la violence institutionnelle.
Témoignages des survivants : la douleur derrière les statistiques
Durant la cérémonie, une minute de silence a précédé la lecture de vingt-deux noms de détenus décédés des suites de sévices. Puis la parole s’est frayée un chemin, fragile mais déterminée. Jonas, 29 ans, a décrit les coups de matraque administrés « pour faire parler l’injure ». Mireille, 33 ans, a raconté la privation de soins ayant laissé des séquelles pulmonaires irréversibles. Ces récits rappellent que la torture n’est pas une abstraction juridique : elle brise des trajectoires familiales, fragilise l’économie domestique et s’insinue jusque dans le silence des quartiers populaires.
Parlementaires et diplomates interpellés : l’heure du sursaut institutionnel
Le CAD appelle les élus à classer la lutte contre la torture parmi les ultimes chantiers de leur mandature : prolongation des délais de prescription, élargissement de l’aide juridictionnelle et création de mécanismes d’urgence pour instruire les plaintes. L’organisation sollicite aussi les représentations diplomatiques afin qu’elles conditionnent leur soutien technique et financier à des engagements mesurables. « Justice retardée, justice déniée », rappelle le communiqué, soulignant que l’inaction gouvernementale pourrait ternir l’image du pays dans les enceintes internationales.
Vers une justice restaurative et préventive : quelles perspectives ?
Les spécialistes interrogés convergent : la prévention passe par la transparence institutionnelle et par la certitude de la sanction. L’introduction de caméras dans les salles d’interrogatoire, la publication régulière de statistiques judiciaires et l’indemnisation des victimes constituent des pistes déjà éprouvées ailleurs sur le continent. Sans ces garde-fous, préviennent les observateurs, la torture continuera de prospérer dans la pénombre et l’État se condamnera à un cycle infini de méfiance publique. Pour l’heure, la pétition lancée à Brazzaville le 26 juin recueille des signatures qui, à défaut de panser les plaies, maintiennent vivante l’exigence de justice.