Origines de Kaly Djatou dans la Bouenza
Né le 20 janvier 1957 à Aubeville, petit hameau bordant les collines verdoyantes de Madingou, Maurice Koudiatou grandit au rythme des scies et des marteaux de son père menuisier, autant que de la rumeur lointaine des tam-tams villageois.
Lorsque la ferme de l’exploitant français Maurice Dupont ferme ses portes en 1964, la famille Loukombo abandonne les senteurs forestières d’Aubeville pour Madingou-gare et son quartier Canada, fourmillant déjà de bars-dancings vibrants de rumba et de soukous.
C’est à la chorale catholique, baguettes de tam-tam en mains, que l’adolescent goûte ses premières harmonies. Très vite, il s’improvise chef de petites répétitions de rue, confectionnant guitares-boîtes et maracas de bouteilles, et signant déjà ses propres couplets.
Brazzaville, creuset musical des années 70
Ses chansons, souvent écrites en lari et en lingala, inondent d’abord les sentiers rouges du village. Le 30 avril 1975, le titre Idole ya quartier met littéralement le feu à Nkieni, révélant un jeune rossignol à la portée vocale étonnante.
Brevet en poche, Koudiatou débarque à Brazzaville pour le lycée Chaminade puis celui de la Révolution. Installé sur l’avenue de France à Poto-Poto, il chante en plein air pour ses voisins, transformant chaque fin d’après-midi en mini-concert spontané.
Ce buzz de trottoir attire l’orchestre amateur Bilenge Sakana, référence des ruelles de la capitale. Accepté sans peine, l’étudiant comprend cependant que briller parmi les voix confirmées de l’attaque-chant exige patience, endurance vocale et sens aigu de la scène.
Naissance du duo phare de Bayina Libakou Mabe
Après deux années de chœurs dans l’ombre, Dominique Kengolet, son camarade de classe, lui ouvre en 1978 les portes de Bayina Libakou Mabe. Le groupe, déjà réputé pour ses riffs nerveux, cherche justement une couleur vocale fraîche et fédératrice.
Entre le timbre perlé de Kaly Djatou et la puissance de Jean Claude Okombe, la sauce prend instantanément. Très vite, la paire signe des refrains accrocheurs qui font danser les nuits de Poto-Poto, Moungali et Bacongo jusque tard dans l’aube.
Pourtant, derrière le succès local, la structure reste artisanale. Les répétitions se font dans une salle prêtée par un commerçant, les costumes sont cousus chez un tailleur du coin, et chaque cachet sert autant à payer les études qu’à louer des amplis.
Enregistrements historiques au studio Veve
Le tournant arrive en 1980 lorsque Bayina Libakou Mabe traverse le fleuve pour Kinshasa. Direction le mythique studio Veve de Verckys Kiamuangana, laboratoire sonore de la rumba zaïroise, où tant de tubes africains trouvent alors leur finition crépitante.
Cinq titres sont gravés sur bande magnétique en un week-end marathon : Innocent et Lekouleme signés Adolphe Atoba, Washamba par Okombe, Hélène de GTM, et Mbongo ya l’État, première grande composition de Kaly Djatou, ode ironique aux dédales administratifs.
La qualité du mixage, le souffle des cuivres et les guitares pleines de reverb offrent à l’orchestre un vernis professionnel. Les cassettes piratées circulent aussitôt entre Brazzaville, Pointe-Noire et Libreville, propulsant la voix douce de Kaly dans les taxis-brousse.
Première émission couleur de Télé Congo
Toujours en 1980, Fortuné Joachin et Isabelle Tomage lancent Jeunes talents, première émission produite en couleurs par Télé Congo. Bayina Libakou Mabe est invité pour le pilote, symbole d’une jeunesse créative que la télévision nationale souhaite désormais mettre en lumière.
Devant les caméras flambant neuves, Kaly déroule Mbongo ya l’État avec un large sourire et des pas de danse millimétrés. La diffusion séduit des milliers de foyers, fascinés par la vivacité des images et la fraîcheur d’un groupe encore inconnu hors des pistes.
Les jours suivants, les appels d’animateurs radios pleuvent ; des tourneurs de disques proposent des galas dans tout le pays, et même quelques dates au Gabon. Pour Kaly Djatou, c’est une confirmation : sa voix peut désormais franchir les frontières sans passeport.
Influence durable sur la nouvelle génération
Plus de quatre décennies ont passé, mais les étudiants de Brazzaville samplent encore le gimmick d’Idole ya quartier sur leurs laptops. Dans les maquis de Mpila, les anciens fredonnent Mbongo ya l’État pour charrier les jeunes face aux files d’attente administratives.
Interrogé lors d’un festival rétro à Pointe-Noire, le critic musical Junior Massamba assure que « Kaly a introduit une forme de poésie villageoise dans la rumba urbaine ». Selon lui, cette fusion inspire aujourd’hui des artistes comme Roga-Roga ou le groupe Bana Jazz.
Alors que l’industrie musicale nationale se digitalise, le parcours de Kaly rappelle la force du collectif, du bricolage et de la passion pure. Son histoire, encore peu documentée, mérite de rejoindre les manuels d’éducation musicale pour inspirer les prochains beatmakers du Congo. Elle prouve que chaque hit débute humble.