Nairobi s’enflamme sous la pression d’une dette fiscale contestée
Dans les artères de Nairobi, la journée de commémoration des rassemblements anti-taxes de 2023 se voulait initialement un hommage sobre. Dès l’aube, étudiants, petits commerçants et chauffeurs de moto-taxi ont convergé vers le centre-ville pour rappeler leur rejet de hausses fiscales jugées « insoutenables » par une jeunesse déjà malmenée par un chômage supérieur à 35 %. Sur Kenyatta Avenue, les slogans dénonçant « l’impôt sur la survie » ont résonné quelques heures avant que la tension ne dégénère. Lorsque les forces de sécurité ont tenté de disperser les attroupements, des groupes de jeunes ont dressé des barricades de pneus enflammés, symbole d’une colère attisée par la perception d’un État sourd aux difficultés de la rue.
Un bilan humain et économique encore incertain
Le ministère kényan de l’Intérieur a reconnu seize décès, tandis que des organisations comme la Kenya Human Rights Commission avancent déjà le chiffre de vingt et un morts. Dans les hôpitaux de Mbagathi et de Kenyatta National, les médecins recensent des blessures par balles et par éclats de pavés, confirmant que la confrontation s’est rapidement militarisée. Au-delà de la tragédie humaine, la Chambre de commerce de Nairobi estime à près de 5 000 le nombre de petites entreprises partiellement détruites ou pillées, un coup dur pour un secteur informel qui fournit 80 % des emplois urbains.
Pour Caroline Nduta, gérante d’un cybercafé du quartier de Umoja, « chaque vitre brisée, c’est un mois de salaire perdu ». Une réalité qui souligne la vulnérabilité d’un tissu entrepreneurial déjà fragilisé par l’inflation et la volatilité du shilling kényan.
L’ONU exhorte à la retenue et à la reddition de comptes
Face aux images de rues jonchées de cartouches et de vitrines calcinées, le Bureau des droits de l’homme des Nations unies, par la voix d’Elizabeth Throssell, s’est dit « profondément préoccupé » par l’usage supposé de munitions réelles contre des manifestants. Rappelant que « la force létale ne peut être employée qu’en dernier ressort », l’organisation a exhorté Nairobi à garantir la liberté de réunion pacifique, pilier de toute démocratie constitutionnelle.
Le gouvernement kényan, qui assurait il y a encore quelques mois vouloir privilégier le dialogue avec la rue, se trouve désormais sommé d’apporter des preuves concrètes de sa volonté de transparence. Les chancelleries occidentales, déjà critiques envers la gestion sécuritaire de 2023, multiplient les appels téléphoniques pour obtenir des garanties sur la protection des journalistes et des secouristes.
L’organe de contrôle de la police face à un test décisif
Sous la pression nationale et internationale, l’Independent Policing Oversight Authority (IPOA) a ouvert une enquête sur les opérations de maintien de l’ordre. Constituée en 2011 pour rompre avec des décennies d’impunité, l’IPOA peine encore à convaincre, ses rares inculpations n’ayant abouti qu’à deux condamnations effectives en treize ans. « Nous attendons des investigations rapides, indépendantes et publiques », insiste l’avocate Yvonne Odhiambo, figure montante du barreau kényan.
À l’issue des manifestations de l’an passé, aucune chaîne hiérarchique n’avait été formellement sanctionnée. Un précédent qui nourrit la défiance actuelle. Pour beaucoup d’observateurs, la capacité de l’IPOA à identifier et traduire en justice d’éventuels responsables sera décisive pour restaurer un minimum de confiance civique.
Résonances régionales et enseignements pour la jeunesse congolaise
Si les événements kényans semblent éloignés de Brazzaville, ils résonnent pourtant auprès d’une génération congolaise attentive aux dynamiques citoyennes africaines. À l’ère des réseaux sociaux, images et témoignages franchissent les frontières en un éclair, alimentant débats sur l’espace public, la fiscalité et la responsabilité des forces de l’ordre. « Voir des pairs se faire tirer dessus pour avoir réclamé un avenir viable m’interpelle directement », confie Bola Bissila, étudiant en sciences politiques à l’Université Marien-Ngouabi.
Le cas kenyan rappelle aux gouvernements de la région que la gestion sécuritaire de la contestation ne peut se permettre l’opacité sans risquer l’isolement diplomatique et la poussée d’un mécontentement latent. À l’heure où la jeunesse congolaise plaide pour plus de transparence budgétaire et d’opportunités économiques, l’expérience de Nairobi offre une mise en garde : la répression coûte cher, non seulement en vies humaines, mais aussi en crédibilité internationale et en stabilité sociale.