Au cœur des Tours jumelles, une célébration chargée de symboles
Il est un peu plus de dix-neuf heures lorsque les premières notes de l’hymne rwandais s’élèvent dans le hall feutré de l’hôtel Hilton, niché entre les Tours jumelles de Mpila. En ce 4 juillet, la communauté rwandaise du Congo-Brazzaville commémore le trente-et-unième anniversaire de sa libération, connue sous le nom de Kwibohora. Les convives – diplomates, universitaires, acteurs économiques et jeunes leaders – arpentent les allées fleuries du palace, rappelant que les fêtes nationales sont, au-delà de la convivialité, des lieux d’affirmation identitaire et de diplomatie publique.
La présence du ministre congolais des Affaires étrangères, Jean-Claude Gakosso, confère à l’événement une tonalité officielle. En saluant l’ambassadeur Parfait Busabizwa, le représentant du gouvernement rappelle l’attachement de Brazzaville à un dialogue régional apaisé. Le décor, fait de drapeaux croisés vert-jaune-bleu et rouge-jaune-vert, symbolise une fraternité en construction qui dépasse les frontières administratives du fleuve Congo.
Brazzaville au rythme de Kwibohora, récit historique et culturel
La projection d’un court métrage historique replonge l’assemblée dans l’année 1994, lorsque le Front patriotique rwandais, conduit par Paul Kagame, mit fin au génocide perpétré contre les Tutsi. Sur l’écran, les images des collines brumeuses de Kigali succèdent aux visages juvéniles des rescapés. Le silence qui traverse la salle rappelle que la mémoire reste l’ossature d’une nation en reconstruction.
Quelques minutes plus tard, les tambours « ingoma » s’accordent aux percussions congolaises « ngoma », formant une polyphonie inattendue qui emporte le public dans une danse d’allégresse. On y lit l’idée que la culture, mieux que les statistiques, raconte le triomphe de la vie. Pour nombre de jeunes présents, la fusion des sonorités incarne l’espoir d’un espace culturel afro-centré, affranchi des barrières linguistiques et forgé par un héritage partagé.
Un plaidoyer diplomatique pour la résilience et la bonne gouvernance
Au pupitre, l’ambassadeur Busabizwa prend la mesure de l’instant : « Kwibohora n’est pas seulement un souvenir, c’est un impératif de responsabilité ». Sa voix grave évoque la résilience d’un peuple qui a su convertir la tragédie en force collective. Il souligne le rôle des institutions rwandaises dans la promotion de la transparence, citant la dématérialisation des services publics et la lutte systémique contre la corruption, régulièrement saluées par des organismes internationaux.
L’allusion se veut également un message pour la jeunesse congolaise, avide de modèles tangibles d’efficacité. Dans la salle, des étudiants de l’Université Marien-Ngouabi discutent déjà de l’application Irembo, portail numérique centralisant plus d’une centaine de démarches administratives au Rwanda. « Ce que nous célébrons, précise le diplomate, c’est la capacité d’un État africain à innover tout en maintenant la cohésion sociale ». Des propos reçus avec un mélange d’admiration et de saine émulation.
Des indicateurs de développement qui inspirent la jeunesse congolaise
En dépit des chocs économiques mondiaux, le PIB rwandais maintient une croissance robuste située autour de 6 % sur la dernière décennie. Selon des chiffres officiels relayés lors de la cérémonie, le taux de pauvreté est passé de près de 40 % en 2017 à 27,4 % cette année, tandis que l’extrême pauvreté recule à 5,4 %. Ces progrès se lisent par exemple dans la généralisation de la couverture santé communautaire, laquelle offre un filet de sécurité à plus de 90 % des ménages.
Dans le même temps, le gouvernement de Kigali investit massivement dans la technologie : la zone économique spéciale de Kigali Innovation City et l’extension de la fibre optique sur le territoire font figure de vitrines. « L’ambition numérique du Rwanda démontre qu’un petit pays peut se hisser au rang de hub régional », observe un jeune entrepreneur brazzavillois spécialisé dans les fintechs, venu chercher des opportunités de partenariat.
Perspectives régionales et opportunités pour la coopération Sud-Sud
Si l’actualité médiatique met souvent l’accent sur les tensions sécuritaires des Grands Lacs, la réception de Brazzaville rappelle qu’un autre récit est possible : celui d’une intégration économique bâtie sur l’échange d’expertises. Kigali propose son expérience en matière de e-gouvernance, tandis que Brazzaville met en avant son potentiel logistique fluvial et son marché énergétique en croissance. « C’est en combinant nos atouts que nous deviendrons compétitifs sur les chaînes de valeur mondiales », résume un diplomate congolais.
À l’heure où les Nations unies encouragent les partenariats Sud-Sud, la jeunesse représente un capital humain décisif. Les incubateurs technologiques des deux capitales entretiennent déjà des contacts, notamment autour de l’agritech et du tourisme durable. La soirée s’achève sur un vœu partagé : que la célébration de Kwibohora, à mille kilomètres de Kigali, devienne le prélude d’une coopération renouvelée, où les savoir-faire circulent librement à l’échelle du continent.