Brazzaville, pivot de la France Libre
Au lendemain des célébrations du 65e anniversaire de l’indépendance, une question anime les couloirs des réseaux sociaux congolais : et si la France consacrait officiellement une journée à Brazzaville, ancienne capitale de la France Libre et pivot d’un passé partagé ?
L’idée, portée dans une lettre ouverte au président Emmanuel Macron par l’écrivain et entrepreneur Marcellin Mounzéo Ngoyo, ambitionne de replacer la ville dans les grands récits européens sans effacer l’élan souverainiste qui guide aujourd’hui la République du Congo.
Entre archives militaires et mémoires familiales, Brazzaville rappelle l’Appel du 18 juin 1940, le Manifeste du 27 octobre 1940, la Conférence de 1944 ou encore le protocole diplomatique de 1988, autant de jalons que l’auteur qualifie de « capsules d’avenir ».
La lettre qui interpelle Paris
Ainsi formulée, la proposition n’exige pas des réparations mais une reconnaissance symbolique, comparable aux commémorations du Débarquement ou du 11 Novembre. Elle alignerait la mémoire franco-africaine sur des initiatives similaires menées en Belgique ou au Royaume-Uni ces dernières années.
Contacté par nos soins, le politologue parisien Jean-Marc Simon souligne que « lorsqu’un État honore un lieu étranger, il cimente une diplomatie de confiance ». Pour lui, consacrer Brazzaville serait « un geste pédagogique qui parle autant aux lycéens français qu’aux jeunes du Pool ».
L’Élysée ne s’est pas encore prononcé. Cependant, plusieurs députés de la majorité française rappellent que la loi du 8 janvier 2006 permet déjà de créer des journées nationales par simple décret, ouvrant un chemin institutionnel praticable dès la prochaine session parlementaire.
Atouts économiques pour la jeunesse
Pour la jeunesse congolaise, la charge émotionnelle de la proposition se double d’enjeux très concrets. Une journée en France stimulerait le tourisme mémoriel vers Brazzaville, dynamiserait les industries créatives locales et déroulerait un tapis de visibilité aux start-ups culturelles nourries au numérique.
Diane, fondatrice de l’agence AfroStreamers, y voit « un pont économique ». Elle affirme que « les 18-25 ans, grands consommateurs de contenus historiques sur TikTok, seraient les premiers ambassadeurs d’une telle date, transformant un souvenir en opportunités de jobs verts et digitaux ».
Les autorités congolaises, déjà engagées dans le programme tourisme-mémoire 2023-2028, estiment que cette visibilité internationale complèterait leurs efforts pour moderniser les musées de Poto-Poto et Mfilou, tout en soutenant la création d’un campus numérique dédié aux métiers du patrimoine.
Archives, campus et mobilités
Sur le plan académique, l’Université Denis-Sassou-Nguesso, inaugurée en 2022, envisage d’ouvrir une chaire d’histoire connectée associant chercheurs congolais et français. Cette structure proposerait des séminaires hybrides, validant des crédits européens, afin de renforcer la mobilité étudiante Sud-Nord et Nord-Sud.
Le Centre national congolais de documentation et d’archives, quant à lui, prépare la numérisation de 400 000 dossiers coloniaux en partenariat avec la Bibliothèque nationale de France. Un portail bilingue permettra aux lycées des deux rives de consulter librement photos, cartes et correspondances d’époque.
Ces initiatives pédagogiques répondent à une attente citoyenne mesurée par l’institut Sondages Plus Congo : 78 % des 18-30 ans interrogés estiment que connaître l’histoire partagée renforce le patriotisme, tandis que 65 % y voient un levier d’employabilité dans les secteurs créatifs et touristiques.
À Pointe-Noire, les opérateurs portuaires envisagent même des circuits fluviaux thématiques entre la côte et la capitale, misant sur l’éventuel label « Route de la France Libre » pour attirer backpackers européens et chercheurs curieux.
Défis côté opinion française
Reste toutefois à convaincre l’opinion française, parfois frileuse face aux débats mémoriels. Les calendriers officiels comptent déjà onze journées nationales. Ajouter Brazzaville supposerait un consensus politique, médiatique et académique, afin d’éviter la saturation symbolique pointée par certains historiens.
Catherine Coquio, professeure à la Sorbonne, rappelle que « chaque inscription doit s’accompagner de programmes pédagogiques solides ». Une recommandation qui rejoint la volonté des autorités congolaises de renforcer les coopérations universitaires, notamment autour des archives filmées encore inexploitées.
Dans les rues de Bacongo, les étudiants interrogés rêvent déjà d’échanges interculturels accrus. « Nos homologues français viennent pour le jazz ou la rumba », sourit Rodrigue, 22 ans. « Une date officielle les pousserait à découvrir l’histoire politique, et pas seulement la nightlife de Grand-Marché ».
Brazzaville regarde vers l’avenir
Au-delà de la France, l’initiative pourrait inspirer d’autres partenaires, du Canada à la Corée du Sud, déjà engagés dans des programmes d’échanges avec l’Université Marien Ngouabi. Brazzaville deviendrait un hub mémoriel, catalysant conférences, bourses de recherche et festivals documentaires.
Marcellin Mounzéo Ngoyo espère remettre son projet au Quai d’Orsay lors du prochain Forum de Paris sur la Paix. Il compte sur l’appui de la diaspora congolaise en Île-de-France, forte de 70 000 membres selon le consulat, pour porter la voix de la capitale.
Du côté de Brazzaville, le ministère de la Culture annonce déjà une campagne numérique #BrazzavilleMémoire2026. Vidéos courtes, podcasts et expositions itinérantes s’aligneront afin de « préparer les consciences », explique le conseiller Alphonse Lingomo, convaincu que la mémoire partagée est « un moteur d’avenir ».
Si Paris venait à officialiser la date, Brazzaville écrirait une nouvelle page, non pas de nostalgie, mais de projection. En attendant, le débat offre déjà aux jeunes Congolais l’occasion de se réapproprier un héritage, de le monétiser et de le partager avec le monde.
