Une assemblée générale attendue
Samedi 9 août 2025, la salle de conférences de l’INRAP grouillait d’énergie. Près de cinquante enseignants venus des collèges, lycées et universités se sont réunis autour du professeur Omer Massoumou pour acter la renaissance de l’Association congolaise des enseignants de français, l’ACEF.
Fondée en 1984 mais longtemps en sommeil, l’ACEF veut redevenir un moteur de réflexion sur le français, langue de scolarisation et, pour beaucoup, passerelle vers l’emploi. Son président l’a promis: «Notre association doit être l’atelier où se forge une pédagogie adaptée aux réalités congolaises».
Derrière l’apparente formalité de l’assemblée, les enjeux sont profonds. Selon les derniers résultats du Bac général, seuls 56 % des candidats maîtrisent les compétences d’expression écrite attendues, un signal d’alarme qui a ouvert les débats sur la formation initiale et continue des professeurs.
Pour marquer le retour de l’ACEF, un plan d’action triennal a été adopté. Il prévoit des ateliers régionaux, une plateforme numérique d’échange de ressources et le lancement, en 2026, d’un concours national d’écriture créative destiné à valoriser les talents des élèves et de leurs enseignants.
Enjeux pédagogiques
Au cœur des échanges, une distinction a cristallisé les réactions : «enseigner le français» et «enseigner en français». Le professeur Alain Fernand Loussakoumou a rappelé qu’«être enseignant de français est un métier à part entière, avec ses outils, sa recherche, ses exigences d’évaluation».
Dans de nombreuses écoles périphériques, le manque de manuels récents oblige les professeurs à improviser. Mme Ninelle Josianne Balenda, de l’Université Marien Ngouabi, souligne que «tous les enseignants n’ont pas la même formation. Sans recyclage régulier, le fossé se creuse entre zones urbaines et rurales».
Les données de la Commission nationale de la Francophonie indiquent pourtant une progression de 8 % des inscriptions dans les filières littéraires depuis 2020. La demande d’encadrement est réelle, portée par une jeunesse qui voit dans le français un levier d’insertion dans les industries créatives émergentes.
Pour répondre à ce défi, l’ACEF mise sur la mutualisation des savoirs. Un «cloud pédagogique» hébergé par l’Université numérique du Congo permettra de déposer cours, capsules vidéo et évaluations. Cette démarche, saluée par le ministère de l’Enseignement supérieur, veut rendre le contenu accessible même hors connexion.
Voix d’enseignants
Dans les couloirs, les témoignages affluaient. Clarisse, 27 ans, enseignante au lycée Thomas Sankara, dit avoir retrouvé «le sentiment d’appartenance à une communauté professionnelle». Pour elle, l’ACEF doit aussi être «un lobby capable de défendre nos intérêts lors des négociations salariales».
Rodrigue, qui anime un club de slam à Dolisie, voit dans la relance de l’association un moyen de rapprocher langue scolaire et pratiques culturelles. «La grammaire devient moins austère quand on la chante ou la déclame. Il faut que l’ACEF soutienne ces initiatives hybrides», estime-t-il.
Pour les enseignants débutants, l’enjeu est aussi financier. Les frais d’adhésion ont été fixés à 5 000 CFA, somme jugée «abordable mais à rentabiliser». Le bureau s’est engagé à négocier des réductions sur les ouvrages et à organiser des webinaires gratuits certifiés.
Une question revient sans cesse : comment mesurer l’impact réel des activités? Omer Massoumou propose la mise en place d’un tableau de bord annuel, avec indicateurs sur la réussite scolaire, le taux de participation aux formations et la production de contenus pédagogiques libres.
Les partenaires techniques, notamment l’Organisation internationale de la Francophonie, ont salué l’approche. Un représentant a rappelé que le prochain Sommet de Kinshasa mettra l’accent sur l’innovation pédagogique et que les initiatives de terrain feront l’objet d’une vitrine continentale.
Perspectives d’avenir
Dans un pays où plus de 60 % de la population a moins de 25 ans, la question linguistique devient stratégique. Maîtriser le français ouvre l’accès aux études supérieures, mais aussi aux plateformes numériques où naissent start-up, podcasts et contenus vidéo monétisables.
L’ACEF n’ignore pas cet horizon. Son bureau a annoncé la création d’un hackathon littéraire, mélangeant codage et storytelling. L’objectif est de produire des applications mobiles d’apprentissage participatif qui parleront aussi bien aux lycéens connectés qu’aux apprenants en formation professionnelle.
À court terme, une campagne sur les réseaux sociaux va promouvoir la réadhésion. Hashtags, vidéos courtes et témoignages d’anciens élèves ambitionnent de faire de l’ACEF une marque repérable dans l’écosystème numérique local, sans concurrencer les initiatives déjà portées par le gouvernement.
«Nous voulons passer d’une association statutaire à un mouvement d’influence», résume le secrétaire général adjoint. Les prochains mois diront si la promesse se matérialise, mais l’assemblée a laissé une impression de réveil collectif. Pour beaucoup, l’aventure ne fait que commencer.
D’ici à 2027, l’association espère atteindre le seuil symbolique de cinq cents adhérents actifs et publier un rapport annuel bilingue mis en accès libre. Ce document réunira recherches universitaires, retours d’expériences et propositions adressées aux décideurs pour renforcer la qualité de l’enseignement du français partout au Congo.
