Langue Gangulu, trésor des Plateaux
Sous le ciel rouge des Plateaux, la langue Gangulu résonne encore dans les villages, rythmée par les proverbes et les contes au clair de lune. Mais la modernité avance, et ce riche idiome bantou compte de moins en moins de locuteurs dans les ruelles de Brazzaville.
« Une langue qui s’éteint, c’est toute une bibliothèque qui brûle », rappelle Sébastien Elion, président de l’Association pour la promotion, la langue et la culture Gangulu, créée afin de donner un souffle nouveau à cet héritage. Sa sortie officielle, tenue au Centre culturel Jean-Baptiste-Tati-Loutard, a sonné comme un appel général.
Un défi face à la modernité numérique
Télévision en français, séries en anglais, applications en lingala : les jeunes Gangulu surfent dans un océan de langues dominantes. Selon l’Aplcg, moins d’un adolescent sur cinq maîtrise désormais le registre traditionnel, un taux en chute libre depuis dix ans.
Le phénomène n’est pas isolé. L’UNESCO classe plus de la moitié des 62 langues du Congo-Brazzaville en situation de vulnérabilité. Aux yeux de M. Elion, « la technologie doit passer du rôle de concurrent à celui d’allié » pour inverser la tendance.
L’Aplcg, nouveau moteur communautaire
L’association affiche une feuille de route ambitieuse. Elle compte d’abord recenser les locuteurs natifs, puis enregistrer contes, chants et dictons afin de constituer une base de données sonore accessible gratuitement. « Nous voulons que chaque voix devienne un maillon de la chaine patrimoniale », insiste le secrétaire général, Jean-Remy Makaya.
Dans la foulée, des ateliers d’écriture en alphabet basaa et en API sont programmés pour familiariser les jeunes au système de transcription retenu. La municipalité de Gamboma, sensible au projet, mettra à disposition deux salles informatiques les week-ends.
Les jeunes, maillons clés de la transmission
À la cérémonie de lancement, Prudence, étudiante en BTS communication, confie avoir redécouvert sa propre langue grâce aux sessions TikTok de l’association. « Je répète les proverbes avec mon grand-père, je filme, puis je partage. Les likes fusent, et lui se sent fier », sourit-elle.
Pour les initiateurs, ce cercle vertueux peut influencer la mode et même les lyrics des rappeurs locaux. L’artiste Auxilium, présent à l’événement, a promis de glisser trois mots gangulu dans son prochain EP, persuadé que « le public raffole de sonorités authentiques ».
Initiatives pédagogiques et soutiens officiels
L’Aplcg coopère déjà avec l’Institut national des arts et de la culture pour établir un module optionnel au lycée d’Éwo. Le ministère de l’Enseignement préscolaire, primaire et secondaire a salué « une démarche complémentaire au programme École-pays », fondé sur la valorisation des langues nationales.
Un manuel illustré de 64 pages, financé par la Délégation générale aux grands travaux, doit sortir avant la prochaine rentrée. Tiré à 3 000 exemplaires, il sera distribué gratuitement dans les bibliothèques municipales.
Musique et réseaux sociaux, alliés inattendus
La musique urbaine devient la bande-son de la revitalisation linguistique. Des beatmakers de Pointe-Noire travaillent sur des samples d’instruments traditionnels kombé et nkassa, mêlés à des boucles afro-trap pour séduire la génération Bluetooth.
En parallèle, un concours de challenges #GanguluVibes est lancé sur Instagram. Objectif : réciter un proverbe en moins de quinze secondes, sous-titré en français. Les trois vidéos les plus virales gagneront une session studio et le pressage de 200 clés USB aux couleurs de la langue.
Ce que cela change pour la cohésion nationale
Au-delà de l’enjeu identitaire, la démarche s’inscrit dans la promotion du vivre-ensemble, valeur chère au Congo-Brazzaville. « Un pays polyglotte qui préserve chaque accent renforce sa diversité et donc sa stabilité », analyse le sociologue Armand Ngatsé.
La dynamique Gangulu rejoint d’autres initiatives, comme la revitalisation du téké et du lari, encouragées par les autorités. Ensemble, elles dessinent une mosaïque culturelle apaisée, prête à dialoguer avec les innovations du monde d’aujourd’hui tout en conservant ses racines profondes.