La stupeur d’une disparition soudaine
La nouvelle est tombée comme un orage au-dessus de Brazzaville: Maître Larsen Bemy, jeune juriste de 37 ans, s’est éteint dans la nuit de mardi à mercredi. Aucune maladie, aucun accident déclaré, juste un silence abrupt qui a figé ses proches.
Une photo de promotion capturée quelques heures plus tôt à l’École Nationale d’Administration et de Magistrature circule désormais sur les téléphones. On y voit un homme radieux, chemise immaculée, entouré de camarades hilares. Beaucoup y lisent, avec le recul, un signe d’au revoir.
Un parcours académique salué
Originaire de Makélékélé, Larsen Bemy avait gravi les marches de la faculté de droit avec une assiduité presque légendaire. Aux aurores, il rejoignait les amphithéâtres pour dénicher une place, conscient que la réussite passait par ces notes avalées au rythme d’un professeur surnommé le TGV.
Ses résultats lui ouvrirent les portes d’un stage au Bénin, expérience déterminante pour son approche comparative du droit. Les enseignants saluaient sa précision, ses amis évoquent son humour pince-sans-rire et cette capacité à transformer des articles de loi en récits accessibles.
Au service de la justice et de la communauté
Fraîchement diplômé, le jeune avocat multipliait les permanences pro bono dans les quartiers sud, accompagnant artisans et étudiantes dans la rédaction de contrats ou la défense de droits élémentaires. « Il ne supportait pas l’idée qu’un papier bloque une vie », confie l’un de ses clients.
Ses collègues décrivent un professionnel qui, malgré un agenda dense, trouvait toujours le temps de conseiller les plus jeunes. Le Barreau de Brazzaville relève qu’il plaidait déjà des dossiers complexes sur la gouvernance d’entreprise, illustrant la place grandissante des jeunes juristes dans l’économie nationale.
Une onde de choc sur les réseaux sociaux
Dès l’annonce du décès, les plateformes congolaises ont été inondées de messages. Étudiants, magistrats, artistes et footballeurs ont partagé un même mot-clé: #MerciLarsen. Entre les lignes lumineuses d’éloges, une question revient sans cesse, chuchotée plutôt que criée: que s’est-il passé ?
Maître Vianney Louetsi, compagnon d’études, a donné la tonalité dans une lettre ouverte où transparaissent admiration et incompréhension. « Tu n’étais pas malade », écrit-il, rappelant des réveils à trois heures pour occuper l’amphi. Ses mots, partagés des milliers de fois, résonnent comme une veillée numérique.
Parler du non-dit: la santé mentale
Cette disparition soudaine relance le débat sur la pression silencieuse qui pèse sur les jeunes professionnels urbains. Entre charges familiales et compétition académique, beaucoup reconnaissent s’accorder peu de répit. Le ministère de la Jeunesse recommande depuis 2022 un accompagnement psychologique systématique dans les campus.
Psychiatre au Centre hospitalier de Talangaï, le docteur Stéphanie Ngoyi observe une hausse de consultations pour anxiété chez les 25-40 ans. « Le succès projette une image solide qui empêche d’avouer le doute », analyse-t-elle, invitant familles et collègues à déceler les signaux discrets d’épuisement.
Une génération en quête de repères
Les camarades de promotion de Larsen envisagent déjà une bourse à son nom pour soutenir les étudiants issus de milieux modestes. Le geste se veut un rappel: réussir, c’est aussi créer un chemin plus praticable pour ceux qui suivent, même dans un environnement exigeant.
Le Barreau prépare, lui, une séance d’information sur la conciliation entre carrière et équilibre personnel. Selon le bâtonnier Me Pauline Malanda, « l’affaire Bemy » pourrait devenir le déclencheur d’une meilleure prise en compte du bien-être au travail, sans rien céder à la rigueur professionnelle.
L’éternité d’un nom
Dans la maison familiale, on murmure que Larsen rêvait de publier un manuel sur la citoyenneté. Ses notes restent soigneusement empilées sur un bureau, peut-être prêtes à voir le jour grâce à ses pairs. Le projet incarne l’idée que les idées survivent à la chair.
Vendredi, une cérémonie sobre se tiendra au cimetière du centre-ville. Les autorités locales ont annoncé leur présence pour saluer un « exemple de méritocratie ». Aucun discours officiel n’éclipsera toutefois l’essentiel: les applaudissements discrets d’une jeunesse qui se reconnaît dans son parcours.
Gardons le cap
À l’issue des témoignages, Maître Louetsi rappelle que l’héritage de son ami n’est pas seulement une somme de souvenirs, mais une invitation à persévérer. S’emparer de la loi pour servir, embrasser la solidarité, prendre soin de soi: trois directions pour prévenir d’autres départs inattendus.
Le soleil se couchera de nouveau sur Brazzaville, différent pourtant, parce que quelqu’un manque à l’appel. Dans l’ombre chaude des lampadaires, les pas pressés des étudiants résonneront encore longtemps du nom de celui qui leur a montré que briller n’est pas un privilège.
Regarder vers l’avenir
Au-delà de l’émotion, plusieurs professeurs plaident pour renforcer les cours d’éthique et de gestion du stress dès la première année. Une proposition transmise au ministère de l’Enseignement supérieur devrait être étudiée lors des états généraux prévus ce semestre, annoncent les responsables de l’université Marien-Ngouabi.
Si le destin de Larsen semble décourager, il rappelle aussi la capacité du Congo à produire des talents engagés. Comme le résume un étudiant: « Nous ne sommes pas condamnés à applaudir les départs; nous pouvons écrire nos propres victoires ». Le message circule déjà hors campus.
