Fête du Trône 2024 : une adresse suivie depuis Brazzaville
Le 29 juillet dernier, le Maroc a célébré la Fête du Trône, moment solennel durant lequel le souverain s’adresse traditionnellement à la nation. Retransmis en direct sur plusieurs chaînes satellitaires et abondamment relayé sur les réseaux sociaux, le discours a également trouvé une audience attentive dans les capitales africaines, dont Brazzaville, où une communauté marocaine dynamique et des étudiants congolais installés à Rabat entretiennent une veille constante sur l’actualité du royaume.
Le roi Mohammed VI, qui boucle vingt-six années de règne, a revendiqué la construction « d’un Maroc avancé, uni et solidaire ». Cette déclaration, portée par une rhétorique maîtrisée, se veut la synthèse d’un long cycle de réformes amorcées dès 1999. Pour le jeune lectorat congolais, souvent en quête de modèles de développement africains, l’exercice constitue un cas d’école de communication politique, entre storytelling monarchique et mise en scène d’indicateurs macroéconomiques.
Des indicateurs macroéconomiques en vitrine
Au chapitre économique, le souverain a insisté sur l’expansion de filières considérées comme les « nouveaux fleurons » de l’industrie marocaine : l’automobile, désormais premier secteur exportateur du royaume, l’aéronautique qui attire de grands équipementiers, et les énergies renouvelables, où la centrale solaire de Ouarzazate symbolise l’ambition verte nationale. Selon la Banque mondiale, la croissance marocaine s’est maintenue autour de 3 % en moyenne sur la dernière décennie, malgré la pandémie. Le roi en tire argument pour qualifier son pays de « terre d’investissement » connectée à « plus de trois milliards de consommateurs » grâce aux accords de libre-échange signés avec des blocs aussi divers que l’Union européenne ou des partenaires arabes.
Le discours a également souligné l’intégration d’infrastructures jugées stratégiques : réseau autoroutier de plus de 2 000 km, ligne à grande vitesse Tanger–Casablanca, ports en eau profonde comme Tanger-Med. Pour de jeunes entrepreneurs congolais qui scrutent les success-stories continentales, ces réalisations illustrent la corrélation, maintes fois invoquée par les économistes, entre qualité du cadre logistique et attraction de capitaux étrangers.
Ambition sociale : les chiffres derrière la rhétorique
Conscient qu’un récit purement quantitatif pourrait sonner creux, Mohammed VI a rappelé que « nul niveau de développement ne saurait le satisfaire s’il ne se traduit pas dans la vie quotidienne des citoyens ». Le dispositif de généralisation de la protection sociale, lancé en 2021, vise à couvrir près de 22 millions de Marocains. Le roi affirme que la pauvreté multidimensionnelle est passée de 11,9 % en 2014 à 6,8 % en 2024, un chiffre corroboré par le Haut-Commissariat marocain au Plan.
L’Indice de développement humain, sur lequel le Maroc franchit le seuil du « niveau élevé », devient un élément rhétorique central. Les observateurs rappellent toutefois que l’IDH agrège espérance de vie, éducation et revenu, sans toujours refléter les disparités régionales. Le souverain en est conscient et insiste sur la redistribution territoriale, un enjeu que les autorités congolaises connaissent elles aussi dans leur politique d’équilibre entre zones côtières et arrière-pays.
Diplomatie régionale : Alger en filigrane
Sur le versant diplomatique, le roi a multiplié les appels au « dialogue franc et responsable » avec l’Algérie voisine, qualifiant les deux peuples de « frères unis par l’histoire ». Les frontières terrestres restent closes depuis 1994, et aucun calendrier de normalisation n’a été rendu public. En soulignant sa « politique de la main tendue », Rabat cherche à montrer à la communauté internationale sa volonté de décrispation, même si, dans les faits, les tensions autour de la question saharienne continuent de figer les positions.
Le propos résonne particulièrement dans une Afrique centrale qui milite pour l’intégration régionale. Nombre de jeunes Congolais, sensibilisés aux enjeux de la Zone de libre-échange continentale africaine, scrutent ces signaux diplomatiques comme des baromètres de la faisabilité d’un Maghreb unifié, dont dépend partiellement la fluidité des corridors commerciaux transsahariens jusqu’au golfe de Guinée.
Le Sahara occidental, pierre angulaire de la narration
Mohammed VI s’est dit « fier du soutien international croissant à la proposition d’autonomie » présentée par le Maroc pour régler le différend saharien. L’expression d’une gratitude explicite envers le Royaume-Uni et le Portugal confirme le basculement d’une partie des chancelleries européennes vers la position de Rabat. Au Conseil de sécurité, plusieurs membres permanents évoquent désormais l’initiative marocaine comme « sérieuse et crédible ».
À l’échelle continentale, l’Union africaine reste officiellement neutre, mais une vingtaine d’États ont ouvert des consulats dans les villes de Laâyoune ou Dakhla, renforçant l’argument de souveraineté défendu par le palais royal. Pour les jeunes lecteurs congolais, cette diplomatie du consulat illustre la façon dont la reconnaissance symbolique se traduit par des pas concrets susceptibles d’infléchir les rapports de force sur le terrain.
Écho à Brazzaville : réception feutrée, intérêt réel
Le 30 juillet, au lendemain du discours, l’ambassade du Maroc à Brazzaville a convié un cercle restreint de responsables politiques, de chefs d’entreprise et de représentants de la société civile à une réception sobre. Prenant la parole, le chargé d’affaires Ahmmed Agargi a réaffirmé la volonté de Rabat de « consolider les partenariats Sud-Sud, particulièrement dans les domaines agricole et logistique ».
La présence de jeunes start-uppers congolais, engagés dans la fintech ou l’agro-transformation, témoigne d’un intérêt croissant pour le modèle d’industrialisation mis en avant par Mohammed VI. Dans les échanges informels, plusieurs invités ont évoqué la perspective d’un axe Casablanca-Pointe-Noire pour le transport maritime de marchandises, complémentaire des projets de corridors ferroviaires prônés par le gouvernement congolais. Sans se livrer à une comparaison frontale de trajectoires nationales, l’événement a rappelé qu’au sein d’un continent en transition, chaque récit de développement, qu’il soit monarchique ou républicain, devient un miroir où les jeunesses africaines cherchent inspiration et points de repère.