Une folle accélération des ambitions gazières égyptiennes
Le gouvernement égyptien, par la voix du Premier ministre Mostafa Madbouly, vient d’annoncer qu’il portera sa capacité d’importation de gaz naturel liquéfié à 2 250 millions de pieds cubes par jour au début du mois de juillet 2025. Le chiffre, aride à première lecture, représente néanmoins un bond de 125 % par rapport à l’année précédente. Sous un soleil de plomb, Madbouly a inspecté la nouvelle unité flottante de regazéification amarrée dans le port d’Aïn Sokhna, rappelant que « l’autonomie énergétique n’est pas un luxe mais un impératif de souveraineté ». Concrètement, cette troisième FSRU – Floating Storage and Regasification Unit – d’une capacité annuelle de près de huit millions de tonnes équivalent gaz, conférera au Caire la souplesse nécessaire pour absorber les fluctuations de la demande intérieure, tout en restant présent sur le marché d’exportation.
Le couteau suisse des FSRU : petit gabarit, gigantesque effet de levier
Contrairement aux terminaux terrestres classiques, les FSRU constituent des solutions modulaires et déployables en un temps record, inférieures à vingt-quatre mois selon les chantiers navals de Busan. Elles stockent le gaz à –162 °C, le réchauffent grâce à des échangeurs de chaleur et le réintroduisent sous forme gazeuse dans le réseau national. L’Égypte capitalise ainsi sur une technique qui lui permet de préserver ses réserves offshore de Zohr pour l’exportation tout en satisfaisant la demande domestique, fortement stimulée par l’expansion des cimenteries et des parcs industriels du Delta du Nil. Le choix de multiplier ces unités flottantes traduit un mouvement mondial : vingt-cinq FSRU supplémentaires sont actuellement commandées, principalement par des pays émergents soucieux de ne pas dépendre d’un unique fournisseur pipeline.
Rééquilibrage macroéconomique et pari sur la volatilité des cours
Après avoir engrangé des recettes records grâce à l’exportation de GNL en 2022, l’Égypte a connu en 2023 un serrage de ceinture brutal lorsque la production nationale a reculé de 11 %. Les rotations de méthaniers à destination de l’Europe se sont faites plus rares, amputant le budget de l’État et accentuant la pression sur la livre égyptienne. L’arrivée d’un troisième navire de regazéification s’apparente donc à une police d’assurance. Elle autorise Le Caire à importer du gaz bon marché lors des creux de marché, puis à réexporter ses propres molécules lorsque les prix repartent à la hausse, une stratégie que le think tank Oxford Institute for Energy Studies qualifie de « hedging structurel ». Toutefois, cette gymnastique financière dépend d’un accès permanent au marché spot et de frais de transbordement qui ont, eux, quadruplé depuis l’invasion de l’Ukraine. Les autorités comptent sur le soutien de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement pour amortir ces coûts.
Un signal fort pour les producteurs d’Afrique centrale, Congo en tête
Depuis Pointe-Noire, les ingénieurs de la future usine de liquéfaction « Marine XII » suivent avec attention la montée en puissance égyptienne. « Le message est clair : l’agilité prime désormais sur la taille des infrastructures », affirme un cadre de la SNPC, préférant garder l’anonymat. Pour Brazzaville, qui prévoit son premier cargo de GNL dès novembre 2024, le modèle FSRU égyptien illustre une voie médiane entre exportation brute et valorisation locale. Il incite aussi à anticiper les besoins saisonniers du marché intérieur, notamment la demande croissante en électricité dans les villes de l’hinterland, souvent tributaires de centrales diesel coûteuses. En filigrane, c’est la question de la souveraineté énergétique des jeunes nations africaines qui se dessine : parvenir à arbitrer entre recettes d’exportation en devises fortes et fourniture stable d’énergie au tissu industriel naissant.
Les inquiétudes climatiques dans le rétro mais bien présentes
Alors que le sommet africain sur le climat tenu à Nairobi a insisté sur la nécessité de verdir les mix énergétiques, l’option gazière demeure un sujet sensible. Le ministre égyptien du Pétrole, Tarek El Molla, assure que « le GNL reste la moins carbonée des énergies fossiles », mais les ONG locales rappellent que l’empreinte des méthaniers et la combustion finale du gaz ne sont pas neutres. Au-delà des éléments de langage, l’innovation technologique se concentre sur des méthaniers à propulsion GNL double carburant et sur l’intégration de biogaz dans les flux liquéfiés. Encore embryonnaires, ces solutions pourraient, si elles deviennent compétitives, offrir à l’Égypte une atténuation partielle de son bilan carbone et influencer la trajectoire des pays voisins, dont le Congo, désireux de se positionner comme exportateurs responsables.
Vers une reconfiguration du grand jeu gazier méditerranéen
Le triplement annoncé de la capacité d’importation repositionne l’Égypte comme pivot énergétique entre l’Asie et l’Europe, détenteur d’une marge de manœuvre commerciale considérable face aux grands producteurs du Golfe. Les discussions informelles avec la Grèce et Chypre sur un hub régional de négoce témoignent de la nouvelle ambition cairote : capturer la valeur ajoutée du trading, au-delà de la simple fourniture de molécules. À court terme, la Commission européenne voit dans cette flexibilité supplémentaire un filet de sécurité contre les tensions sur les approvisionnements hivernaux, tandis qu’Israël, perturbé par des contraintes sécuritaires à Gaza, salue un partenaire capable d’absorber ses excédents gaziers. L’Afrique centrale, quant à elle, observe cet échiquier se réorganiser, cherchant la fenêtre de tir idéale pour insérer ses propres volumes dans un marché en perpétuelle recomposition.