Une décennie au Quai de Brazzaville
Dans le petit salon bois sculpté du ministère des Affaires étrangères, Jean-Claude Gakosso mesure le chemin parcouru depuis son entrée au gouvernement en 2002 et, surtout, depuis son arrivée au Quai d’Orsay congolais en 2015. Dix ans plus tard, l’heure est au bilan pour un public attentif aujourd’hui.
Interrogé à l’orée des 65 ans d’indépendance, le ministre insiste d’abord sur la sérénité retrouvée du Congo sur la scène mondiale. « Nous n’avons de contentieux avec personne », rappelle-t-il, soulignant que la diplomatie congolaise se veut d’abord un instrument de stabilité intérieure et régionale solide dans la durée quotidienne aussi.
Cette ligne de conduite, héritée des pères de l’indépendance, trouve aujourd’hui un relais important chez une jeunesse connectée qui exige à la fois ouverture et souveraineté. Dans les universités de Brazzaville, nombreux sont les étudiants qui considèrent la diplomatie comme un prolongement de leurs ambitions continentales et globales.
Partenariats stratégiques Chine Russie France
Sous la houlette de M. Gakosso, le Congo a diversifié son portefeuille d’alliances sans renoncer à ses ancrages historiques. Pékin finance d’importants chantiers d’infrastructure, Moscou intensifie la coopération militaire, tandis qu’Ankara, Doha et Brasilia explorent des créneaux allant de l’agro-industrie aux énergies renouvelables au bénéfice direct des populations locales.
La relation privilégiée avec Paris demeure, nourrie par la Francophonie et la présence de quelque 20 000 étudiants congolais dans l’Hexagone. Washington, de son côté, dialogue régulièrement sur les questions climatiques, notamment la préservation du bassin du Congo, deuxième poumon forestier de la planète selon des sources diplomatiques occidentales.
Médiation congolaise pour la paix en Libye
Dans l’entretien, le ministre revient longuement sur la médiation conduite par le président Denis Sassou-Nguesso au nom de l’Union africaine. Les réunions de Brazzaville, tenues entre 2017 et 2021, ont servi de passerelle discrète entre factions libyennes, souvent éloignées des radars médiatiques occidentaux, et relancent l’espoir d’une paix durable.
Aujourd’hui, assure-t-il, « on peut circuler de Benghazi à Tripoli ». Si le pays reste fragile, les Nations unies saluent la baisse des affrontements majeurs depuis deux ans. Les diplomates congolais, peu médiatisés, observent toutefois que l’enjeu principal est désormais la réconciliation institutionnelle et la reconstruction du tissu socio-économique libyen.
Zlecaf et nouvelle diplomatie économique
Le même pragmatisme guide l’engagement du Congo dans la Zone de libre-échange continentale africaine. Ratifié dès 2019, le traité ouvre un marché potentiel de 1,3 milliard de consommateurs où Brazzaville mise sur le bois transformé, les produits agricoles et un numérique en pleine ébullition selon des économistes de Kinshasa.
Pour les jeunes créateurs d’entreprise, la Zlecaf représente moins un slogan qu’un horizon concret. À Makoua, une start-up spécialisée dans la géolocalisation des producteurs de cacao se dit prête à livrer jusqu’à Abidjan sans formalités douanières excessives, signe que l’idée d’intégration commence à infuser le terrain économique régional.
Réforme du corps diplomatique congolais
L’autre chantier, plus discret, touche les hommes et femmes chargés de porter la voix congolaise. Les décrets signés début 2025 revalorisent les carrières, harmonisent les grilles indiciaires et créent un fonds d’appui logistique pour les chancelleries éloignées, notamment celles de Canberra, Séoul et La Havane selon un communiqué officiel.
Ces avancées répondent à une revendication ancienne du syndicat des diplomates, confrontés à des loyers élevés dans certaines capitales. « Nous servons parfois dans des conditions spartiates », confie un conseiller basé à New Delhi. La mesure devrait également attirer de nouveaux profils issus de la diaspora compétents et motivés.
Jeunesse et perspectives internationales
À cinquante-neuf ans, Jean-Claude Gakosso préfère parler d’humilité plutôt que de succès personnel. Il assure que son « sentier de service » se poursuivra tant que le président jugera son expertise utile. Le chef de la diplomatie entend surtout consolider la place du Congo dans les organisations multilatérales africaines et mondiales.
À Washington, un analyste africain observe que Brazzaville a su éviter les frictions idéologiques qui paralysent certains États. « Le Congo parle à tout le monde sans se perdre lui-même », note-t-il, estimant que cette posture facilite l’accès à des financements diversifiés, notamment pour la transition énergétique en Afrique centrale.
Sur la Place de la République à Oyo, des lycéens interrogés disent surtout attendre que cette diplomatie se traduise par plus d’emplois et d’échanges universitaires. Ils citent en exemple les bourses turques ou qatari qui, depuis trois ans, permettent d’étudier l’ingénierie sans grever le budget familial déjà modeste.
Le ministère affirme travailler de concert avec l’Enseignement supérieur pour amplifier ces mobilités, tout en incitant les partenaires étrangers à investir dans les campus locaux. L’idée, confie un haut fonctionnaire, est d’« amener le monde au Congo et le Congo au monde » afin de réduire l’exil professionnel des jeunes.
Au final, la décennie de Jean-Claude Gakosso illustre une constance stratégique : faire dialoguer Brazzaville avec toutes les capitales sans jamais rompre l’équilibre interne. Entre médiations régionales, partenariats économiques et modernisation administrative, la diplomatie congolaise cherche ainsi à élargir l’horizon d’une génération connectée à la fois locale et globale durable.
