Un souffle nouveau sur l’ingénierie financière cairote
Au-delà des fresques éternelles qui tapissent les temples de Louxor, la capitale égyptienne écrit désormais une autre forme d’épopée: celle de la finance structurée. L’annonce, par Al Ahly Pharos – bras armé d’investissement de la puissante Banque nationale d’Égypte – de la seconde émission d’obligations de titrisation au sein du douzième programme de Capital Securitization pour un montant avoisinant 100 millions de dollars a résonné dans la région comme le tambour d’une fanfare moderne. Co-chef de file, Arab African International Bank confirme ainsi sa volonté d’ancrer Le Caire parmi les plaques tournantes africaines du financement hors-bilan. En agrégeant sous une même coquille juridique des portefeuilles de créances octroyées par l’institution de micro-finance Tasaheel, l’opération matérialise un nouveau palier pour un marché obligataire qui cumulait déjà 20 milliards EGP d’émissions en 2023, selon la Financial Regulatory Authority.
Le rôle structurant d’Al Ahly Pharos et d’Arab African International Bank
Si la mécanique de la titrisation est bien connue dans les grandes places occidentales, elle reste récente sur le continent. En endossant la fonction d’« arrangers », Al Ahly Pharos et Arab African International Bank ne se contentent pas de placer des titres ; ils orchestrent due-diligence, notation, structuration des tranches et négociation avec l’autorité de tutelle. « Notre ambition est de démocratiser l’accès au capital-marché pour des acteurs non bancaires, tout en offrant aux porteurs obligataires un rendement ajusté au risque », confiait un cadre d’Al Ahly Pharos lors du communiqué publié au Caire. Dans le montage, les créances de Tasaheel – essentiellement des prêts de petit montant à des micro-entrepreneurs – sont cédées à un véhicule ad hoc qui émet, en contrepartie, des obligations adossées à ces flux futurs. Les coupons servis aux investisseurs proviendront donc des remboursements opérés par des milliers de petits commerçants ou d’artisans, un maillage social souvent perçu comme plus résilient que de grandes expositions corporate.
Tasaheel, microfinance et ambitions sociales
Tasaheel, filiale du groupe MNT-Halan, revendique près de 2,3 millions de clients et un encours de prêts excédant 18 milliards EGP. En catalysant 4,7 milliards supplémentaires, le programme vise à élargir la palette des services, de la simple avance de fonds à la micro-assurance ou au paiement numérique. Selon son directeur général, l’émission permettra « d’amplifier l’inclusion financière en zone rurale, tout en soutenant la croissance d’une économie informelle qui représente encore plus de 50 % du PIB égyptien ». La note d’information évoque par ailleurs un taux de défaut historiquement contenu sous les 3 %, argument-clé qui a convaincu plusieurs fonds d’investissement du Golfe et quelques banques européennes de souscrire à la tranche senior, notée Prime-1 par MERIS.
Répercussions régionales et leçons pour les marchés d’Afrique centrale
Au-delà de la vallée du Nil, l’opération aiguise la curiosité des régulateurs d’Afrique centrale qui réfléchissent à élargir leurs propres cadres juridiques autour de la titrisation. La Banque des États de l’Afrique centrale a d’ailleurs inscrit à son agenda 2024 la publication de lignes directrices destinées à stimuler ce segment encore embryonnaire. Pour les jeunes professionnels congolais, souvent confrontés à la rareté du crédit et au coût élevé de la dette bancaire, la titrisation apparaît comme une voie supplémentaire afin de lever des capitaux à long terme sans alourdir les bilans traditionnels. Les start-up locales du numérique pourraient demain céder leurs créances télécom ou leurs portefeuilles d’abonnements pour financer expansion et recherche, à l’instar de la stratégie adoptée par Tasaheel. Reste à bâtir un écosystème de notation, de conseil juridique et de placement capable d’inspirer confiance aux investisseurs internationaux.
Le chantier n’en est qu’à ses premiers coups de pioche, mais l’exemple égyptien montre que la créativité financière peut aller de pair avec une finalité sociale. Les observateurs notent toutefois que la profondeur du marché secondaire sera cruciale pour garantir la liquidité des titres et maintenir des coûts de financement compétitifs. À moyen terme, le succès de l’opération Tasaheel pourrait servir de catalyseur à la mutualisation d’initiatives panafricaines, où les régimes prudentiels seront appelés à converger afin de sécuriser l’investisseur tout en libérant l’entrepreneur.
Des pyramides vers l’horizon numérique
Alors que l’inflation mondiale redessine la carte des flux de capitaux, l’Égypte démontre qu’il est possible de conjuguer discipline macro-économique et innovation financière. L’émission orchestrée par Al Ahly Pharos et Arab African International Bank dépasse le simple cadre d’un produit de placement ; elle atteste d’une volonté stratégique de diversifier les canaux de financement d’une économie dense de 110 millions d’habitants. Pour l’Afrique centrale, la leçon est limpide : la modernisation des marchés passe autant par la maîtrise technique que par la confiance régulatoire. La titrisation n’est certes pas une baguette magique, mais elle ouvre un couloir où l’esprit d’entreprise peut s’émanciper de la contrainte collatérale classique. En cela, l’écho du Caire résonne jusqu’à Brazzaville, invitant jeunes banquiers et entrepreneurs congolais à scruter, avec réalisme et ambition, les nouvelles géométries de la finance africaine.