Santé oculaire : un enjeu sociétal trop souvent négligé
Au cœur des artères animées de Brazzaville, la santé visuelle demeure paradoxalement en marge des préoccupations quotidiennes. Les études menées par la direction départementale de la santé révèlent pourtant qu’un Congolais sur quatre présente un trouble de la réfraction non corrigé, une statistique qui s’accentue chez les 18-35 ans exposés aux écrans et à la pollution lumineuse urbaine. Dans ce contexte, l’apparition de la campagne Lipanda ya Mboka, impulsée par l’Ong « Œil droit, œil gauche » (Odg), survient comme une bouffée d’oxygène sociale visant à réduire la fracture sanitaire.
Une opération calibrée pour la fête nationale
Démarrée le 6 août, l’initiative coïncide délibérément avec la commémoration de l’indépendance, période où les Congolais se rassemblent autour des idéaux d’unité et de progrès. « Nous avons voulu transformer l’effervescence patriotique en opportunité concrète pour la population », explique Abdel Salanguia, secrétaire de l’Odg. Concrètement, les consultations ophtalmologiques sont facturées à un tiers de leur coût habituel, tandis que les montures et verres bénéficient de réductions dégressives atteignant parfois 60 %.
Trois types de verres, trois portes d’entrée vers la clarté
Le choix laissé aux patients illustre la pédagogie de l’Odg. Le verre minéral, prisé pour sa résistance aux rayures mais plus fragile aux chocs, s’offre désormais à un prix symbolique, idéal pour les budgets étudiants. Le verre organique, compromis entre légèreté et solidité, séduit la classe moyenne urbaine. Enfin, le polycarbonate, à l’épreuve des activités sportives, attire une clientèle jeune et mobile, soucieuse d’un style de vie dynamique. « Notre but est que chacun reparte avec une solution adaptée à son mode de vie, pas uniquement à son porte-monnaie », insiste l’optométriste Mireille Bissila.
Au-delà du geste commercial, l’inclusion
En s’appuyant sur un réseau de volontaires formés en éducation sanitaire, la campagne sillonne également les arrondissements périphériques où l’offre médicale demeure clairsemée. Des affiches en lingala et en kituba prolongent la portée du message, soulignant la volonté d’inclusion linguistique. Plusieurs jeunes influenceurs, à l’instar de la graphiste Lyna Kayembe, relaient l’opération sur les réseaux sociaux, amplifiant ainsi son écho auprès d’une génération connectée mais parfois éloignée des centres médicaux.
Premiers retours : un engouement prometteur
D’après les registres tenus à l’atelier mobile installé au marché Total, plus de 1 800 consultations ont été réalisées en une semaine, soit un flux quotidien supérieur de 40 % à la moyenne annuelle. Les files d’attente, organisées autour de tentes numérotées, témoignent d’une demande longtemps silencieuse. « Je repoussais l’achat de lunettes depuis deux ans, faute de moyens », confie Junior Mankassa, étudiant en informatique. « Avec cette promotion, je vois enfin la route… au sens propre ».
Perspectives et pérennité de l’action
L’Odg compte étendre Lipanda ya Mboka aux chefs-lieux départementaux dès 2025, en partenariat avec des cliniques privées et l’Ordre national des médecins. Cette projection s’inscrit dans la dynamique gouvernementale qui, via le Plan national de développement sanitaire, encourage les synergies public-privé pour améliorer l’accessibilité des soins spécialisés. Si le défi financier demeure – chaque jeu de verres subventionné représentant un manque à gagner évalué à 8 000 francs CFA – l’organisation mise sur des partenariats internationaux pour pérenniser le dispositif.